Duel sans merci – Don Siegel

Une bande de brigands attaque les chercheurs d’or, les force à vendre leurs concessions et les abat froidement. Les parcelles sont alors vendues à d’autres prospecteurs. Luke Cromwell (Audie Murphy) exploite avec son père une petite concession au bord d’une rivière. Alors qu’il se rend en ville pour vendre quelques grammes d’or, son père est attaqué et assassiné par le gang. Victime d’un guet-apens, Luke s’en sort mais ne parvient pas à revenir assez vite pour sauver son père. Quelques mois plus tard, Luke est à une table de poker sous le nom de Silver Kid.

Gros plan d’un pistolet, il tire à trois reprises sur un homme (hors champ), c’est violent et glaçant, un plan aura suffi pour nous indiquer que nous sommes en présence d’un grand réalisateur. Duel sans merci est le quatrième long-métrage de Don Siegel, son premier film pour Universal et son premier western. Il en tournera peu, sept en tout et pour tout dont un, Une poignée de plomb (Death of a Gunfighter, 1967), qu’il reniera. Il s’agit à chaque fois de westerns hybrides, mixte étrange de comédie, de cynisme et de drame assez éloigné des canons du genre. Ainsi, Le dernier des géants pour ne citer que son dernier western est le chant du cygne de John Wayne rongé par la maladie, une œuvre plus proche de la subtilité cinématographique d’Ozu que des westerns hollywoodiens.

Duel sans merci semble apriori un western classique de série B, comme Universal en produisait à la chaîne. Le déroulement, tout le moins dans les dix premières minutes, est des plus traditionnels, et l’histoire cousue de fil blanc. Silver Kid va retrouver les assassins de son père et se venger, point. Siegel fait réécrire le scénario (qu’il trouvait très mauvais), brouille les cartes et les redistribue. Le résultat est un film plus tordu que prévu. Siegel se libère totalement de l’histoire de la vengeance et Silver Kid se retrouve à jouer au poker, absolument pas traumatisé par l’assassinat de son père. Ainsi va la vie, avec ses gagnants et ses perdants dans le Far-West, semble nous dire Siegel.

Alors que nous nous attendions à suivre les aventures de Silver Kid, l’histoire bascule du côté du marshall Lightning Tyron (Stephen McNally). Homme droit dans ses bottes, il se moque éperdument des sentiments amoureux d’une jeune fille, Jane Dusty Fargo (Susan Cabot), et tombe raide dingue d’une femme bien dangereuse, Opal Lacy (Faith Domergue). L’introduction de Lacy est exemplaire. Alors qu’un homme est à l’article de la mort, seul témoin vivant de l’attaque du gang, elle propose ses services d’infirmière. Elle profite d’un moment d’inattention pour étouffer le pauvre malheureux sous un oreiller. C’est rapide et d’une formidable efficacité, en une scène, Siegel définit immédiatement Lacy; à son charme, il ajoute une dose de dangerosité qui dynamise aussitôt ses rapports avec le marshall. Le marshall, est –il dupe ? Oui. Les sentiments aveuglent les protagonistes. Il engage à ses côtés Silver Kid alors qu’il devrait le combattre. L’effet est immédiat, le couple à trois, le marshal et ses deux femmes, est aussitôt perturbé par l’introduction de Silver Kid. Le jeune abat ses cartes. Et c’est en utilisant des termes de poker qu’il drague Dusty. La jeune femme se refuse puis entre dans son jeu. Tout fonctionne par paire, démultiplié, les couples se font et défont au gré des intérêts jusqu’au point de non-retour. Et, à ce jeu, Opal Lacy ira la plus loin, butinant et manipulant.

Bien fort qui pourra dire qui est le héros de Duel sans merci. Il y a bien sûr Audie Murphy qui est en tête d’affiche mais son personnage de Silver Kid est presque un second rôle, Stephen McNally, le marshall, ne prend pas l’ascendant sur lui. C’est en définitive Faith Domergue, Lacy, qui tire son épingle du jeu, mais sa destinée est tragique comme pour toute femme fatale. Dans la distribution, on remarque un excellent second rôle au début de sa carrière, Lee Marvin, mais à la présence phénoménale.

Duel sans merci est un western divertissant sans temps mort, avec une dose d’humour des plus réjouissante, dont le sommet est l’extravagante tenue du pistolero Johnny Sombrero. Siegel avait accepté ce scénario attiré par l’étrangeté des noms de personnages. Dans Duel sans merci, s’esquisse ce qui fera en partie la marque du Don Siegel, l’ambiguïté des sentiments dans un contexte de violence. Un film plus important qu’il n’y paraît.

Fernand Garcia

Duel sans merci une édition combo (DVD + Blu-ray) de la collection Western de légende de Sidonis Calysta. En bonus, une double intervention de Patrick Brion. Tout d’abord une présentation du film en le situant dans son époque (8’27), puis, Un portrait d’Audie Murphy, personnage ambigu, fasciné par les armes, acteur dans une multitude de westerns de série B qui forme comme le précise Patrick Brion : « un ensemble de films très intéressant » (5’31). Enfin, une galerie d’affiches et de photos du film et sa bande-annonce américaine d’origine (2’05).

Duel sans merci (The Duel at Silver Creek) un film de Don Siegel avec Audie Murphy, Faith Domergue, Stephen McNally, Susan Cabot, Gerald Mohr, Eugene Iglesias, Kyle James, Walter Sande, Lee Marvin, George Eldredge… Scénario : Gerald Drayson Adams et Joseph Hoffman. Histoire : Gerald Drayson Adams. Directeur de la photographie : Irving Glassberg. Consultant couleur : William Fritzsche. Décors : Bernard Herzbrun et Alexander Golitzen. Costumes : Bill Thomas. Montage : Russell Schoengarth. Producteur : Leonard Goldstein. Production : Universal Pictures. 1952. 77 minutes. Technicolor. Format image : 1,37:1. Compatible 16/9e. Son VOSTF. Tous Publics.