Dogman – Matteo Garrone

Marcello, toiletteur pour chiens, tient une petite boutique dans une banlieue en décrépitude. Il entretient de bonnes relations avec le voisinage et en particulier avec les autres commerçants encore présents dans la cité. Jusqu’au jour où Simoncino, un gars du quartier, réapparaît après un séjour en prison. Cet ancien boxeur, cocaïnomane, sème la terreur dans le quartier et entraine Marcello dans une infernale spirale criminelle. Le monde patiemment construit par Marcello s’effondre…

Dogman est une réussite. Matteo Garrone est un héritier de la comédie italienne, de celle qui prend à bras le corps le contexte social et politique du pays. Il est dans la droite ligne de Mario Monicelli, avec ce brassage de caractère, de violence et petitesse du quotidien, et cet esprit de survie qui anime les personnages. Dogman se divise en trois parties et un épilogue. La première met en place avec une grande humanité Marcello et les personnages qui gravitent autour de lui. C’est aussi les petits larcins dans lesquels il est entraîné par Simoncino. C’est aussi un décor, celui d’un quartier déshérité, vestige de la réussite économique italienne. Plus rien n’y tient debout, les rêves se sont évaporés aussi vite que l’on oublie une publicité télé. Le miracle économique a laissé place à un chaos, où le légal et l’illégal se confondent. Du quotidien, il n’y a rien à attendre de positif. Marcello est dans sa boutique et donne son amour aux chiens qu’il cajole. Il faut le voir revenir sur les lieux d’un vol pour sauver de la congélation un petit chien. Sa part d’humanité c’est aussi sa fille qui vit avec sa mère. Tous ses moments qu’ils passent ensemble, où il se cale sur les rêves de l’enfant, d’un autre ailleurs possible. Marcello fait au mieux avec ce qu’il considère être pour lui moralement digne. Dans cette mise en place surgi Simoncino, être barbare, bas de plafond, son cerveau laminé par des années de consommation de drogue. Il ne connaît que la loi du plus fort, de la violence et de la terreur qu’il impose aux autres. Il s’infiltre dans la vie de Marcello, parce que Marcello veut être au mieux avec tous les habitants du quartier et qu’il ne sait pas dire non.

Dans la deuxième partie, on voit le long glissement vers la criminalité de Marcello. Simoncino ne connaît pas de limite, autodestructeur, il s’attaque à tout l’environnement. Marcello tente de résister mais il ne peut s’opposer tablant que chaque coup est le dernier. Mais dans la crapulerie, il ne peut y avoir de fin, tout s’enchaîne dramatiquement… jusqu’à ce que Marcello se retrouve en totale contradiction avec lui-même, sa faiblesse le piège. Marcello paye sa dette à la société mais reste coupable pour le quartier, en quarantaine, un marginal dans une société de plus en plus marginalisée, périphérique…

La troisième partie n’est qu’une suite logique du déclassement et de l’enfermement de Marcello. Revenir chez les vivants, revenir à un temps passé où il était quelqu’un dans le quartier, où les néons des lettres de l’enseigne Dogman éclaire ce minuscule périmètre du quartier.

Un épilogue fantasmagorique ne peut que conclure cette tranche de vie. Marcello est un errant, un homme d’un monde qui disparaît brisé par le ressac.

Marcello Fonte, le Dogman, est tout à fait extraordinaire. Il personnifie le petit italien, pauvre mais digne, sorte de survivant à toutes les politiques et aux crises économiques qui n’en finissent plus, lointain descendant de l’Alberto Sordi d’Un bourgeois tout petit petit (Un borghese piccolo piccolo, Mario Monicelli, 1977). Son prix d’interprétation au Festival de Cannes est plus que justifié tant il apporte une dimension humaine et pathétique à sa composition. Autour de lui,  d’autres « tronches » parfaitement dirigées par Matteo Garrone, au premier rang desquelles se détache Edoardo Pesce (Simoncino). Il donne chair à un personnage de débile, il évoque celui de Vittorio Gassman en boxeur dans le dernier sketch des Monstres (I monstri, Dino Risi, 1963), mais cinquante ans après, ce n’est plus qu’un bloc de violence brute.

A sa parfaite direction d’acteur, Mateo Garrone ajoute un sens du décor admirable. Son quartier abandonné depuis longtemps par les politiques de la ville, proche de la mer, est de ceux que l’on n’oublie pas et qui accentue l’effet de tragédie qui se joue devant nos yeux. Garrone donne à cet espace une force d’évocation et d’imprégnation dans la mémoire digne de Pasolini.

On peut émettre quelques bémols sur les scènes aquatiques, retour mythique à une harmonie entre l’homme et la nature, pas forcément nécessaire tant le monde de Marcello lui est suffisant pour vivre sa vie. Par contre, la mise en parallèle de l’humanité des chiens en cage face à la bestialité des hommes est tout à fait sidérante. Une question se pose instantanément: sommes-nous destinés à vivre de la sorte et comment en sommes-nous arrivés à ce point de non-retour ?

Matteo Garrone est l’un des très rares cinéastes italiens à avoir réussi le lien avec un passé cinématographique fabuleux sans jamais sombrer dans la pale copie. Patiemment, il construit une œuvre d’importance (Premier amour, Gomorra, Reality, Tale of Tales), qui par la fable éclaire notre monde contemporain.

Fernand Garcia

Dogman un film de Matteo Garrone avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Alida Baldari Calabria, Nunzia Schiano, Adamo Dionisi, Francesco Acquaroli, Gianluca Gobbi… Scénario : Matteo Garrone, Ugo Chiti, Massimo Gaudisio. Image : Nicolaj Bruel. Décors : Dimitri Capuani. Costumes : Massimo Cantini Parrini. Son : Maricetta Lombardo, Mirko Perri. Montage : Marco Spoletini. Musique : Michele Braga. Producteurs : Matteo Garrone, Paolo Del Brocco, Jean Labadie, Jeremy Thomas. Production : Archimede Film – Le Pacte – Rai Cinéma. Distribution (France) : Le Pacte (Sortie le 11 juillet 2018). Italie – France. 2018. 108 minutes. Couleur. Format image :  2.35 :1. Son : 5.1. Interdit aux moins de 12 ans. Prix d’interprétation masculine, Festival de Cannes 2008.