Django – Sergio Corbucci

Si Sergio Leone est le premier à révolutionner le western, Corbucci se positionne tout de suite après et va encore plus loin dans la peinture noire de l’Ouest américain.

Django possède tous les ingrédients d’un bon western : une histoire de vengeance, un solitaire, ex-soldat nordiste, très adroit au tire, deux bandes concurrentes : les Mexicains révolutionnaires dirigés par le cruel General Hugo Rodriguez et les Sudistes habillés d’un foulard rouge cramoisi au cou et au service du raciste Major Jackson. Les deux bandes rivales se partagent la maison close d’un village fantôme. Django (Franco Nero) va manipuler les deux bandes, en faisant miroiter au Général Hugo l’or que son ennemi juré Jackson mettra en sûreté de l’autre côté de la frontière. Le but de Django est de récupérer l’or et de venger sa femme, tuée par Major Jackson.

Il est évident que Corbucci avait emprunté son intrigue et ses personnages à Leone (Pour une poignée de dollars, 1964). Pourtant le film de Corbucci propose d’importantes différences. L’image intrigante d’un héros, qui traîne un cercueil, est inspirée d’une bande dessinée japonaise. Django était le premier prénom caractéristique des westerns spaghetti. Le grand succès de Django conduit les auteurs de westerns à réutiliser ce personnage mystique et à le décliner dans une trentaine de productions jusqu’en 1972 (Django tire le premier de Alberto de Martino, 1966, Le fils de Django Osvaldo Civirani, 1967, Queques dollars pour Django de León Klimovsky, 1968, Viva Django d’Eduardo Mulargia, 1972).

 

Le western de Sergio Corbucci se distingue par son surréalisme, sa cruauté et son goût pour le macabre. Le personnage de Django apparaît comme un fantôme surgi du passé. A sa première rencontre avec les humains, un Sudiste l’interpelle : « De quel cimetière tu sors ? ». De même, une prostituée lui demande ce qu’il transporte dans son cercueil, le solitaire répond par son prénom : Django. Le cercueil est le poids de son passé qu’il traine derrière lui. Il n’est mû que par son désir de venger sa femme, ce qui le rend encore sensible aux problèmes des femmes du saloon victimes de multiples brimades. Dans cette société aux valeurs mesurées à l’aune du dollar, dans un melting-pot de brutes et de putains aux couleurs de fleurs fanées, une femme ou plutôt le fantôme d’une femme reste un vague repère. C’est une femme qui sauve Django des sables mouvants quand il y plonge pour récupérer son or. C’est sur la croix de la tombe de sa femme, Mercedes Saro, qu’il s’appuye, les mains cassées par le bandit mexicain, pour se venger du Major Jackson. Cette qualité chevaleresque de Django, un bandit qui aligne les morts sans se sourciller, le rend plutôt sympathique.

 

L’ambiance très particulière du film est beaucoup plus grise et sinistre que celle de Sergio Leone. La brume s’infiltre dans la taverne, le sifflement du vent annonce la mort, appuyé par la musique pompeuse et tragique de Luis Enríquez Bacalov. L’intégralité du film se déroule dans la boue,  où se meuvent des personnages aux chaussures embourbées dans une sorte de décadence morale. On s’enlise avec une sorte de jouissance de la violence, du sang, de la vengeance et de la mort – le cimetière de Tombstone n’est pas assez grand.

On pourrait classer Django, dans la catégorie des westerns Zapata, du nom du célèbre rebelle mexicain de la révolution mexicaine de 1913, Emiliano Zapata. L’action prend place à la frontière mexicaine, l’or qu’on vole est destiné de servir la Révolution. C’est alors le point de vue Marxiste  qui est mis en exergue : les pauvres – les Mexicains se battent contre les riches Sudistes, la plupart membres du Ku-Klux-Klan – une allusion au régime fasciste de Mussolini, période sous laquelle avaient vécu les réalisateurs italiens des années soixante. Corbucci développera les thèmes politiques dans ses films suivants (Le Grand Silence, 1968, Companeros, 1970), cette fois en prise direct avec la société de l’époque.

Ce qui est étonnant dans Django, c’est que toute la trame narrative a été élaborée à partir d’une simple idée – un homme traînant un cercueil, – et n’était développée qu’au fur et à mesure du tournage par le frère du réalisateur, Bruno Corbucci. Beaucoup d’improvisation et d’inventivité permettra au film de gagner une renommée mondiale et lancera la carrière de Franco Nero, alors comédien débutant. En 2007, le réalisateur japonais Takashi Miike rendra hommage au personnage de Corbucci, avec son film Sukiyaki Western Django, une préquelle de Django, avant que Quentin Tarantino ne s’en inspire grandement pour son Django Unchained (2012).

Rita Bukauskaite

Django, un film de Sergio Corbucci avec Franco Nero, José Bodalo, Loredana Nusciak, Angel Alvarez, Gino Pernice. Scénario : Sergio Corbucci et Bruno Corbucci. Colalboration au scénario : Franco Rossetti, José Gutierrez Maesso, Piero Vivarelli. Photo : Enzo Barboni. Décor : Carlo Simi. Musique : Luis Bacalov. Producteurs : Manolo Bolognini et Sergio Corbucci. Année de production : 1966. Pays d’origine : Italie – Espagne. Durée : 93 mn. Format image : 1,66. Couleur.

Django est disponible en DVD chez Wild Side.