Deep End – Jerzy Skolimowski

A Londres, Mike (John Moulder-Brown) vient de sortir du collège et trouve un emploi comme homme à tout faire dans une piscine publique. Susan (Jane Asher), son homologue féminin, arrondit ses fins de mois en proposant ses charmes à la clientèle masculine. Amoureux jaloux de la jeune femme, Mike devient encombrant.

« Nous étions en 1969. Je venais de terminer, à Rome, le tournage de mon plus mauvais film : Les Aventures du brigadier Gérard. La postproduction de ce film avait lieu à Londres. Je louais un appartement à Kensington, au 73 Cornwall Garden. Au bout de quelques semaines passées à Londres, j’ai commencé à envisager Deep End. On m’a raconté une histoire vraie à propos de quelqu’un qui avait perdu un diamant dans la neige et qui avait dû faire fondre la neige pour le récupérer. Ce petit épisode possédait un certain potentiel. En quelques jours, j’avais écrit une dizaine de pages de notes, tout en polonais. À l’époque, je ne parlais pratiquement pas anglais, mais je suivais des cours auprès d’une jeune Polonaise installée à Londres et qui m’apprenait les bases de la langue. Elle m’a aidé à traduire mes notes et à les mettre en forme comme un scénario. Avec ces quelques pages, je suis allé voir un producteur américain relativement connu, Judd Bernard, qui avait fait de très bons films et vivait à Londres. Judd Bernard a lu le scénario devant moi et l’a trouvé très bon. » Jerzy Skolimowski.

Peinture crépusculaire de la fin du Swinging London où la révolution sexuelle a donné naissance à une marchandisation des corps et des sentiments, par son titre Deep End fait allusion à l’expression anglaise « to be thrown in at the deep end » (« être jeté tout de suite dans le bain »). Initialement intitulé Point de départ, On retrouve dans Deep End de nombreuses similitudes avec son film Le Départ (1967) à commencer par son personnage principal et son interprète. En effet, l’interprétation de John Moulder-Brown et le personnage de Mike, au sortir de l’adolescence, ne sont pas sans rappeler celle de Jean-Pierre Léaud et son personnage Marc. John Moulder-Brown tournera à nouveau sous la direction du cinéaste dans son film suivant Roi, Dame, Valet (King, Queen, Knave, 1972), une adaptation de Nabokov. Il interprétera également le prince Otto dans Ludwig, Le Crépuscule des Dieux (Ludwig, 1972) de Luchino Visconti. Notons au passage que Jane Asher, la jeune comédienne qui lui donne la réplique et incarne l’objet de son fantasme, était à l’époque la petite amie d’un certain Paul McCartney.     

« À l’instant où John Moulder-Brown est entré dans la pièce, j’ai su que c’était lui. Il possédait un je-ne-sais-quoi dans sa façon de bouger, sa timidité, son comportement, qui m’a convaincu instantanément. Le personnage de Mike ressemble un peu au héros de l’un de mes films précédents : Le Départ. Jean-Pierre Léaud y jouait le rôle d’un jeune homme qui se cherche, pris dans les affres de l’adolescence. » Jerzy Skolimowski.

Concernant la bande-originale du film, celle-ci est composée de la contribution rare et exceptionnelle de Cat Stevens mais aussi de celle du groupe Can.

« J’ai rencontré Cat Stevens plusieurs fois à Londres et nous avons parlé du film. Il a composé la chanson-titre exprès pour Deep End. Je lui ai soumis l’idée des paroles « But I might die tonight » (Je pourrais mourir ce soir), et il les a brillamment intégrées ! C’est également lui qui a composé les petits intermèdes instrumentaux, ces morceaux presque accidentels. J’étais présent pendant l’enregistrement. Quant à Can, toute la séquence de Soho correspond à une longue piste de leur musique. Je crois qu’ils m’ont présenté plusieurs démos, peut-être seulement des ébauches, et j’ai choisi ce morceau-là, Mother Sky, en leur demandant explicitement de rallonger la piste afin qu’elle dure pendant toute la séquence. » Jerzy Skolimowski.

Tourné caméra à l’épaule entre Munich et Londres sans répétitions préalables avec toujours la volonté de laisser une place importante à l’improvisation, Deep End y gagne à paraître plus vivant, plus réaliste. Avec une esthétique picturale appuyée et des couleurs vives, le cinéaste décrit le processus de construction des sentiments par les actes et nous montre les visages figés et grimaçants des adultes en contraste avec les corps impatients et nerveux des jeunes comédiens et dénonce la pression sociale imposant de retenir ses envies et de porter un masque sociale respectable. Comme s’il avait été mis en scène instinctivement et de manière très libre, avec le style et la forme qui désormais caractérise le cinéaste, dans un parfait équilibre entre la sensualité et le burlesque, le comique et le tragique, l’absurde et l’humour noir, le désordre des sentiments qui habite la jeunesse et la poésie musicale de sa mise en scène, Jerzy Skolimowski filme une fois de plus dans Deep End, les difficultés et la complexité du passage à l’âge adulte. Deep End est comme le prolongement, plus maîtrisé encore, du Départ.

Avec Deep End, son premier film tourné en Angleterre, Jerzy Skolimowski a réalisé un véritable bijou intemporel à travers lequel les nouvelles générations continuent de s’identifier et de se reconnaître.

Steve Le Nedelec

Deep End est édité en Blu-ray et DVD par Carlotta, master HD, en suppléments : Point de départ : le tournage du film un documentaire de Robert Fischer (2011. 75 minutes), Deep End : souvenirs des scènes coupées (12 minutes), Deep End : c’est moi, Hommage d’Etienne Daho au film et enfin La bande-annonce 2011.

Deep End un film de Jerzy Skolimowski avec Jane Asher, John Moulder-Brown, Diana Dors, Karl Michael Vogler, Christopher Sandford… Scénario : Jerzy Skolimowski avec J. Gruza et B. Sulnik. Directeur de la photographie : Charly Steinberger.  Montage : Barrie Vince. Musique : Cat Stevens et CAN. Producteur exécutif : Judd Bernard. Producteur : Helmut Jedele. Production : Maran Film – Kettledrum Productions. Distribution : Carlotta ( sortie le 13 juillet 2011). Allemagne (RFA) – Etats-Unis. 1970. 91 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Tous Publics. Restauration 2K par Bavaria Media en coopération avec Cinepostproduction.

Jerzy Skolimowski – Invité d’honneur – Toute la mémoire du monde – 7ème édition – Festival International du Film Restauré –  Du 13 au 17 mars 2019 à La Cinémathèque Française et « Hors les murs ».