Climax – Gaspar Noé

Un hangar perdu, c’est la dernière répétition pour un groupe de Street Dance, le numéro est parfaitement au point, le résultat de semaines d’efforts. Numéro étourdissant, parfaitement réglé et exécuté. La tension accumulée retombe enfin. Le soir, c’est la fête, l’humeur est joyeuse, mais dans la sangria quelqu’un à versé une drogue… petit à petit l’effet du psychotrope se fait sentir et la belle harmonie du groupe vole en éclat…

Désinhibé par la drogue, le groupe se disloque aussitôt, toutes les rancœurs, les haines, les non-dits, les jalousies accumulées au cours des répétitions remontent à la surface. La belle union s’effrite jusqu’à un point de non-retour dans une nuit cauchemardesque. Climax est le microcosme d’une jeunesse française, ouverte, bien-pensante, généreuse, diverse, une simple façade trompeuse au bord de l’implosion. Gaspar Noé pousse cette jeunesse gavée de télé-réalité, de petite morale fabriquée dans leur ego surdimensionné et vide comme une bulle de savon dans ses derniers retranchements. La fête, la danse, l’alcool, le sexe, tout ce qui éloigne de la réalité en somme finit par les y enfoncer avec encore plus de violence. Climax c’est ici et maintenant avec cette obsession du drapeau français, du bleu, blanc, rouge, couleurs qui éclaboussent les corps et colorent le lieu, un huis clos qui enferme les protagonistes autant qu’ils sont claquemurés dans leurs certitudes.

Le meilleur du cinéma de Gaspar Noé est dans cette approche de la réalité française. Ses films sont nés dans la sous-culture cinématographique des salles populaires des grands boulevards, du boulevard de Strasbourg, de Barbès-Rochechouart, d’au-delà du périphérique. Salles interlopes, où zonaient jeunes, vieux, couples, marginaux avec sur l’écran des films où l’étrange, la violence, l’érotisme et l’exaltation des bas instincts dominaient. C’est à travers ce prisme que Noé travaille, il en ressort un cinéma postmoderne, actuel, des personnages de pleins pieds dans l’instant présent. Rien d’étonnant à ce qu’il se « confesse » dans un enregistrement TV, la télévision étant devenu pour eux un confessionnal, où tout un chacun donne après son avis. L’élimination, le rejet, s’est imposé comme la norme. Tous contre tous, ou pour reprendre un titre de Noé, chacun est seul contre tous. Dans quel but ? La satisfaction de ses désirs, le retour d’un esprit tribal au sein d’une compétition permanente. Noé coupe son film par l’écrit, générique de fin quasiment dès le début, nom qui ne revoie à rien, à aucune fonction, flot de lettres, de signes incompréhensibles, langage d’un ancien temps, il en va de même des intertitres qui comme des graffitis envahissent l’image, de sentence maladroite, définitive, proche d’une forme d’ânerie collective. Cela donne un mouvement, un rythme au film qui loin de le ralentir l’accélère par l’absurde.

Film après film, Gaspar Noé affine un style tout à fait particulier et singulier avec sa manière unique de survoler l’action, plan-séquence impressionnant de maestria, d’énergie, avec cette manière de monter ce qui normalement dans le cinéma commercial reste au mieux dans la pénombre où en suspend dans la collure. Climax nous rappelle plusieurs faits-divers, jusqu’à l’enfant enfermé dans un bloc électrique. Cet enfant au destin tragique peut se voir comme un lien entre Noé et Michael Haneke, même volonté de regarder la réalité en face, l’humain comme il est. Dans le fond, Gaspar Noé est un moraliste.

Fernand Garcia

Climax un film de Gaspar Noé avec Sofia Boutella, Romain Guillermic, Souheila Yacoub, Kiddy Smile, Claude-Emmanuelle Gajan-Maull, Giselle Palmer, Thea Carla Schott, Taylor Kastle, Sharleen Temple… Scénario : Gaspar Noé. Directeur de la photographie : Benoît Debie. Directeur artistique : Jean Rabasse. Costumes : Frédéric Cambier. FX : Rodolphe Chabrier – Mac Guff Line. Montage : Denis Bedlow & Gaspar Noé. Producteurs : Richard Grandpierre, Vincent Maraval, Edouard Weil Brahim Chioua & Gaspar Noé. Production : Rectangle Productions – Wild Bunch – Les Cinémas de la Zone – Eskwad – KNM – ARTE France Cinéma – Artémis Productions – Vice Films. Distribution (France) : Wild Bunch Distribution (sortie le 19 septembre 2018). France. 2018.  96 minutes. Couleur. Ratio image : 2.35 :1. Dolby Digital. Interdit aux moins de 16 ans. Sélection : Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2018 – L’Etrange Festival, 2018.