Chut ! – Jean-Pierre Mocky

Darryl F. Zanuck, l’un des grands producteurs hollywoodiens et président de la 20th Century Fox, aimait à rappeler que les meilleurs scénarii et films étaient issus de la lecture régulière de la presse. Les faits divers, les arnaques, les vols, les drames passionnels étaient le terreau des productions de la Major. Reprenant à son compte l’enseignement du grand Zanuck, Jean_Pierre Mocky se nourrit de la même façon ‐ de l’actualité, et Chut ! en est un parfait exemple.

Ainsi dans Chut !, Mocky brode son scénario sur le scandale immobilier de La Garantie Foncière, qui explosa en ce début des années 70. La Garantie Foncière devenu ici La Caution Foncière propose à de petits épargnants une rémunération 12 % exonérée d’impôts ! Trop heureux de l’aubaine, les souscripteurs‐gogos fêtent le 50 000ème dans une promenade sur la Loire, puis ils participent à une soirée, où l’euphorie est à son maximum.

Les nouveaux souscripteurs remettent leurs oboles à Fritz Ducharrel (Jacques Dufilho), qui transmet les chèques à la hiérarchie de La Caution Foncière sous le regard des notables présents, caution de l’entreprise. Mais sous les lambris de la fête, couve l’escroquerie. Un drôle de personnage, mixte de contrôleur du fisc et de truand patenté (Michael Lonsdale) rôde dans les parages et surprend une conversation sur la finalité de l’opération. Un simple carnet, contenant les souscripteurs et montants, va alors devenir l’objet de toutes les convoitises…

Mocky entraîne son petit monde déboussolé par l’ampleur de l’arnaque dans une course poursuite effrénée. Ce choix artistique désoriente une partie de la critique pour qui ce sujet ne peut avoir qu’une forme sérieuse dite à la « André Cayatte »,    cinéaste spécialisé dans les faits de société. Or pour Chut ! c’est du côté des Marx Brothers, d’Hellzapoppin ou d’un Monde fou fou fou qu’il faut chercher plutôt que du côté du cinéma français.

« Nous avons essayé de faire une eau‐forte, et non un film rigolard à la Lautner. Je nʹai pas voulu montrer lʹépargnant sous un jour sympathique et lʹescroc comme un salaud total. Cela aurait été de la pure démagogie. Avec ce film, mais jʹai eu la même réflexion en revoyant Duck Soup (Soupe aux canards), je me suis posé la question de savoir si devant un film comique, voire burlesque, les gens devaient rire tout le temps. Je me suis aperçu que devant les films des Marx et bien que très favorable, je nʹavais ri quʹune douzaine de fois. Etait‐ce pour autant un constat dʹéchec ? Je ne le crois pas. Il nʹest point nécessaire de rire tout le temps pendant la projection dʹun film comique, tout comme on ne jouit pas tout le temps quand on fait lʹamour. »  Jean-Pierre Mocky

Ici, ni bons ni méchants. Mocky n’épargne personne, que ce soit les souscripteurs dindons de la farce, qui n’avaient au final d’autre but que de se soustraire à l’impôt en faisant une grosse plus value, ni les autorités politiques, qui ont aussi bien profité du système mafieux mis en place.  Ainsi, l’homme qui à la gare joue de l’accordéon est une allusion à peine voilée à Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Economie et des Finances et futur Président de la République de 1974 à 1981. Le personnage le plus étonnant du film n’apparaît quasiment pas à l’image, si ce n’est par bribes : une jambe poilue, une photo, etc. C’est le petit ami de Fritz (Jacques Dufilho). Jean‐Pierre Mocky fait de ce couple homosexuel les héros de son film, sans jugement d’aucune sorte, ce qui en ce début des années 70 est non seulement provocateur mais extrêmement gonflé. Chut ! se termine sur un « Vive la liberté » qui n’est rien d’autre qu’un « vivre sa vie comme bon nous semble »

Fernand Garcia

Chut ! Un film de Jean‐Pierre Mocky avec Jacques Dufilho, Michael Lonsdale, Henri Poirier, Maurice Vallier, Philippe Castelli, René‐Jean Chauffard, Jean‐Claude Rémoleux, Agostino Vasco, Dominique Zardi, Robert Berri, Annie Savarin, Rudy Lenoir, Guy Davout, Jean Abeille… Scénario & dialogues : Jean‐Pierre Mocky avec la complicité de Raphaël Delpard. Directeur de la photographie : Marcel Weiss. Décors : Jacques Flamand. Montage : Jena-Pierre Mocky & Marguerite Renoir. Musique : François de Roubaix. Producteur : Jean‐Pierre Mocky. Production : Balzac Films. France. 1972. 88  mn. Eastmancolor. Format image : 1.66.1. Tous Publics.