Brimstone (II) – Martin Koolhoven

Dans Brimstone, le réalisateur convoque de nombreuses références importantes qui vont de l’auteur de comics Brian Azzarello, d’ Alejandro Jodorowsky, de Garth Ennis, de Carrie (1976) de Brian De Palma à La Leçon de Piano (The Piano, 1993) de Jane Campion en passant par Les Nerfs à Vif (Cape Fear, 1991) de Martin Scorsese ou encore Le Grand Silence (Il Grande Silenzio, 1968) de Sergio Corbucci, sans oublier bien évidemment La Nuit du Chasseur (The Night of the Hunter, 1955) de Charles Laughton auquel il est difficile de ne pas penser avec ce personnage de prêcheur illuminé et les quelques plans qui y font directement références.

Par de nombreux aspects, Brimstone rappelle également des films et des cinéastes comme Sergio Leone avec l’ensemble de ses films, Clint Eastwood avec L’Homme des hautes plaines (High Plains Drifter, 1973), Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales, 1976), Pale Rider, le Cavalier solitaire (Pale Rider, 1985) et bien évidemment Impitoyable (Unforgiven, 1992) autre grand western crépusculaire, ou encore Ted Post avec Pendez-les haut et court (Hang’em high, 1968), Don Siegel avec Les Proies (The Beguiled, 1971) mais aussi Quentin Tarantino avec Les Huits Salopards (The Hateful Eight, 2015) et Tommy Lee Jones avec The Homesman (2014).

Raconté en quatre chapitres distincts aux titres évocateurs (Révélation – Exode – Genèse et Châtiment : la religion est incontestablement le noyau de l’histoire.) se déroulant dans quatre décors différents et prenant à rebours la chronologie de l’histoire, chaque segment du film possède son esthétique propre, son atmosphère, sa propre identité. Se jouant de la logique et des habitudes narratives et temporelles dans le but de décupler la puissance dramaturgique des destins qui se tissent sous nos yeux, la structure narrative particulière du film qui s’ouvre par la fin de l’histoire et se révèle progressivement au spectateur, crée un suspense qui fonctionne parfaitement. Élément essentiel du scénario et donc du film, la structure en chapitres de Brimstone éclaire petit à petit le spectateur sur l’histoire tout en gardant pour chacun d’eux son lot de surprises. On va ainsi découvrir et comprendre au fur et à mesure pourquoi et comment les personnages de Liz et du révérend sont respectivement devenu muet et scarifié. Outre l’indéniable travail qualitatif effectué sur le scénario, l’efficacité de cette structure est également due à l’excellent travail accompli sur le montage du film. Depuis leur rencontre à l’école de cinéma d’Amsterdam dans les années 90, Job ter Burg, le monteur de Brimstone, a travaillé sur tous les films de Martin Koolhoven. Il a également effectué entre autres les montages de Black Book (Zwartboek, 2006) ou encore d’Elle (2015) de Paul Verhoeven. Particulièrement brillant et efficace le travail effectué sur les transitions entre les chapitres permet à chacun d’eux de se terminer dans une forte tension et, sans perdre son attention, oblige le spectateur à repartir à chaque fois de presque zéro. Cette maligne structure narrative qui réussit une impressionnante boucle temporelle a nécessité de tourner au cours des différentes saisons et dans différents pays.

Principalement inspirée par la peinture et en particulier par les œuvres du suisse Albert Anker et celles du danois Vilhelm Hammeshoi qui peignait souvent les gens de dos,  l’esthétique créée par le directeur de la photographie Rogier Stoffers pour Brimstone est à la fois naturelle et réaliste lors des sublimes scènes d’extérieur en cinémascope et très travaillée et sophistiquée pour celles en intérieur dans lesquelles les couleurs et les lumières viennent elles aussi évoquer une idée bien précise de la religion. Afin de nous offrir des images grandioses à la limite du lyrisme et de permettre au film de conserver une unité esthétique aussi impressionnante qu’aboutie ce dernier a effectué un travail remarquable durant le tournage sur l’éclairage, la lumière, les couleurs, les contrastes et les clairs obscurs. Le crépuscule sculpte les visages des comédiens de façon admirable et la composition de certains plans évoque littéralement le mouvement impressionniste. Rogier Stoffers a également travaillé avec Philip Kaufmann, Nick Cassavetes ou encore Sergei Borov. De plus, avec son choix d’objectif grand-angle, la caméra de Koolhoven filme les personnages soit de manière très proche afin qu’ils prennent le contrôle de l’écran, soit de manière éloignée pour les fondre dans la nature qu’il ne manque pas de magnifier par des plans sublimes.

Composée par Tom Holkenborg (Junkie XL), à qui l’on doit entre autre la bande originale du phénoménal Mad Max Fury Road (2015) de George Miller, la musique de Brimstone est principalement utilisée dans le film afin de donner de la profondeur et d’appuyer les émotions des personnages. Liée surtout aux personnages de Liz et du prêcheur, celle-ci incarne efficacement leur ressenti.

Avec Brimstone, Martin Koolhoven travaille pour la première fois avec des stars internationales et le casting est de grande qualité. Littéralement habités par leurs personnages, les comédiens livrent dans le film des prestations époustouflantes.

Le personnage de Liz, la jeune sage-femme muette au destin foudroyant est interprété tout en douceur et en sobriété par l’excellente Dakota Fanning qui, dès le plus jeune âge, est vite devenue l’une des actrices les plus populaires de Hollywood. Enfant Star, elle commence à jouer dans des séries dès l’âge de cinq ans. Impressionnante, sa filmographie compte déjà de grands noms du cinéma. Elle a donné la réplique à Robert De Niro dans Trouble Jeu (Hide and Seek, 2004) de John Polson, à Denzel Washington dans Man On Fire (2004) de Tony Scott), à Sissy Spacek, Glenn Close et Robin Wright dans Nine Lives (2005) de Rodrigo Garcia, à Tom Cruise  dans La Guerre Des Mondes (War of the Worlds, 2005) de Steven Spielberg ou encore  à Forest Whitaker, Kate Beckinsale et Guy Pearce – déjà – dans Fragments (Winged Creatures, 2007) de Rowan Woods. Il est important de souligner qu’elle est également souvent à l’affiche d’excellents films indépendants comme par exemple Very Good Girls (2013) de Naomi Foner Gyllenhaal ou encore Night Moves (2013) de Kelly Reichardt. On l’a récemment vue à l’écran dans American Pastoral (2016) de et avec Ewan McGregor. Elle campe ici magistralement un personnage féminin fort, rare au cinéma et encore plus dans le western. Elle compose avec une impressionnante subtilité ce personnage de femme à la fois victime et combattante. Son mutisme représente la douleur muette qui l’habite et vient traduire son lourd passé qui se dévoile au fil des chapitres de l’histoire. Marquée par une vie qu’elle tente sans cesse de fuir mais qui la rattrape toujours, ce sont sa force intérieure, sa résistance et son courage qui permettent à Liz de faire face aux situations violentes auxquelles elle est confrontée. La complicité que fait naître la mise en scène entre le personnage de Liz et le spectateur transcende les émotions par lesquelles passe celle-ci.

Découvert dans Priscilla, folle du désert (The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert, 1994) de Stephan Elliott puis révélé par L.A. Confidential (1997) de Curtis Hanson, Guy Pearce incarne admirablement le personnage sans pitié du prêcheur hollandais fanatique, fou et dangereux de Brimstone. A l’image de son personnage de prédicateur balafré, Guy Pearce est magnifiquement démoniaque et glaçant. Il est terrifiant. On a toujours autant en mémoire l’inoubliable interprétation du comédien dans Memento (2000) de Christopher Nolan, ainsi que ses compositions dans Le Discours d’un roi (The King’s Speech, 2010) de Tom Hooper, Démineurs (The Hurt Locker, 2008) de Kathryn Bigelow, ou encore Animal Kingdom (2010) et The Rover (2014) de David Michôd. Le comédien met ici tout son talent aussi bien au service du personnage qu’il compose qu’à l’idée qu’il représente dans le film. Atteint de folie paranoïaque, cruel, manipulateur et complètement illuminé, son personnage trouve une justification à ses actes inqualifiables dans le discours nauséeux de ses délires prophétiques et dans son interprétation démente des textes religieux qu’il cherche à inculquer aux autres par la peur, la force et la violence. Il commet les pires atrocités en proférant les mots de Dieu. Il est le mal incarné. Le fait que le personnage du prêcheur n’ait pas de nom dans le film vient également brillamment accentuer la déshumanisation du personnage. Le réalisateur s’amuse à forcer le trait du personnage pour traduire son ignominie de façon on ne peut plus claire. Dès son apparition, avec sa silhouette menaçante, le spectateur comprend qu’il est face au « méchant » du film. L’ambiguïté n’est pas possible.

Dans le rôle secondaire mais essentiel d’Anna, la mère de Liz, on retrouve l’extraordinaire comédienne néerlandaise Carice van Houten qui, séduite par le scénario et la force des personnages et, admirative du travail du cinéaste, a tout de suite accepté de prendre part à l’aventure du film dont il lui parlait depuis des années. Révélée à l’internationale pour son époustouflante interprétation dans Black Book (Zwartboek, 2006) de Paul Verhoeven, Brimstone marque sa quatrième collaboration avec Martin Koolhoven qui lui a donné son premier rôle au cinéma dans Suzy Q, le premier film qu’il réalise en 1999. Extrêmement populaire au Pays-Bas, on a entre autres également vue la comédienne à l’affiche de Walkyrie (2008) de Bryan Singer.

Au regard de la production cinématographique actuelle, avec son univers singulier, Brimstone se révèlent être une bouffée de liberté, d’originalité et de création artistique. Extraordinaire western crépusculaire et violent, rigoureux dans l’exercice, Brimstone n’en ai pas moins pour autant un grand film d’auteur moderne qui dépasse les conventions et transcende le(s) genre(s). Véritable pamphlet contre la violence faite aux femmes et tous les intégrismes, Brimstone est une ode à la liberté de la femme et de l’individu. L’originalité du sujet et l’intelligence de son traitement font de Brimstone un grand film sans foi ni loi, dont le discours et les thématiques sont malheureusement toujours d’actualité. Impitoyable descente aux enfers, Brimstone sent le soufre (traduction en anglais de brimstone) et ne laisse pas le spectateur insensible. Notre société a besoin de ces œuvres politiquement engagée qui, comme des « lanceurs d’alerte », nous brusquent et nous bousculent pour nous permettre de rester en éveil face aux problématiques qu’elle connait. Avec Brimstone on découvre un ambitieux cinéaste dont le talent réside dans le style et la forme qu’il fait naître à partir de ce qu’il a intériorisé pour nous délivrer un message. Aussi somptueux que dérangeant Brimstone est une gifle et Martin Koolhoven, un cinéaste à suivre.

Steve Le Nedelec

Brimstone un film de Martin Koolhoven avec Dakota Fanning, Carice van Houten, Guy Pearce, Kit Harington, Emilia Jones, Paul Anderson, William Houston, Ivy George, Vera Vitali, Alexandra Guelff… Scénario : Martin Koolhoven. Image : Rogier Stoffers. Décors : Floris Vos. Costumes : Ellen Lens. Montage : Job ter Burg. Musique : Junkie XL. Producteurs : Uwe Schott, Els Vandevorst. Production : N279 Entertainment – Backup Media – Film I Väst – FilmWave – Illusion Film & Television – Prime Time – X-Filme Creative Pool. Distribution (France) : The Jokers – Les Bookmakers (Sortie le 22 mars 2017). Pays-Bas – France – Allemagne – Belgique – Suède – Royaume-Uni – Etats-Unis. 2016. 148 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Interdit aux moins de 16 ans. Sélection officielle Mostra de Venise, 2016.