BAC Nord – Cédric Jimenez

Depuis French Connection I et II, Marseille est pilier de l’imagerie de la drogue au cinéma. Depuis les années 70 et les films de William Friedkin et de John Frankenheimer, la physionomie du trafic et de ses pourvoyeurs à bien changer. La position de la ville et ses liens avec l’autre rive de la Méditerranée en fait plus que jamais une des portes d’entrée de la drogue en France et en Europe. Dans les cités, les dealers règnent en maitres avec sous leurs ordres une armée de jeunes fanatisés et biberonné à l’argent « facile ». La cité est une citadelle où la police n’entre plus et qui fonctionne avec ses règles et sur un principe simple : la loi du plus fort. La délinquance gangrène la ville. L’Etat brille par son absence, ne répondant à la détresse de la population qu’avec des opérations de com sans lendemain. BAC Nord raconte le quotidien de trois flics, des hommes de terrain. Le film de Cédric Jimenez s’inspire d’une affaire vraie qui se déroula en 2012, dont l’instruction judiciaire est à l’heure actuelle toujours en cours.

BAC Nord est structuré en deux parties. La première présente les trois flics : Greg (Gilles Lellouche) tout entier dévoué à son métier, Yas (Karim Leklou) le seul à vivre en couple, dont la femme (Adèle Exarchopoulos) policière aussi attend un enfant, et Antoine (François Civil), sorte de chien fou. Yas est le plus posé du groupe, le plus conscient des limites à ne pas franchir. Greg, le plus âgé, le chef, arpente les quartiers de la ville depuis toujours. Antoine, le plus jeune, aurait très bien pu être de l’autre côté de la ligne. Personnages archétypaux de l’univers du polar urbain, le duo classique du bad buddy movie ont laissé place au trio.

Le quotidien les confronte à toutes sortes de petits larcins, vendeur à la sauvette de torture, vols, course-poursuite, etc. Le sentiment dominant est celui d’une impuissance face à une délinquance profondément enracinée dans la ville. Une provocation de dealers sur les réseaux sociaux émeut l’opinion publique et fait réagir les politiques. L’urgence étant toujours mauvaise conseillère, le supérieur de Greg, sous la pression de sa hiérarchie, lui demande de mener au plus vite une opération dans les quartiers nord où la criminalité et la violence augmentent dangereusement avec un effet désastreux pour l’image de la ville et de la police. Il faut des résultats spectaculaires pour le préfet, le ministre et la presse. Afin d’obtenir des renseignements sur des trafiquants de drogue des quartiers Nord, Antoine deal avec une indic, cinq kilos de drogue contre des renseignements. Greg accepte, mais comment obtenir de la drogue ?

C’est le début d’un engrenage, racket des dealers et des consommateurs, accumulation des petites doses, parfaitement mis en scène dans une deuxième partie des plus spectaculaires. Les trois flics franchissent la ligne blanche afin de remplir leur part de l’accord. L’indic lâche l’info. L’intervention dans la cité est une séquence d’anthologie. La cité est comme une zone de guerre, on se croirait dans les faubourgs de Mogadiscio (de La Chute du Faucon noir). Le dispositif mis en place est digne d’un assaut militaire. La BAC intervient, tandis qu’ils sont entourés d’encagoulées armes au poing. Les machines à laver leur pleuvent dessus. La tension est palpable, le montage sec, la fébrilité de la caméra, la maîtrise de l’espace, intérieur et extérieur de l’immeuble, scotche le spectateur à son fauteuil. La progression dans l’immeuble, étage par étage, la présence des dealers, donnent cette impression moite des films d’horreur, on songe au début de Zombie de George A. Romero, à tout un pan du polar urbain américain avec ses immeubles éventrés, ses habitants qui cohabitent avec les dealers et les junkies. Confrontation rude, sauvage, parfaitement mise en scène par Jimenez.

Si la réussite de l’opération est totale quelques mois plus tard, Greg, Antoine et Yas se retrouvent dans les mailles de la police des polices puis expédier devant la justice. La presse s’empare de l’affaire, les politiques s’en mêlent. Condamnés de toute part pour leurs méthodes, ils sont lâchés par leur supérieur hiérarchique. Un seul recours pour la fine équipe : donner le nom de l’indic. Antoine refuse de faire. La prison détruit Greg, l’homme fort du groupe. Yas résiste grâce à sa femme et Antoine « s’enferme » dans son refus de devenir une balance. A ses hommes brisés mis en scène, Jimenez introduit habilement un effet de « réalité » dans sa reconstruction fictionnelle par l’entremise du JT de l’époque. A ce point du récit avec l’empathie pour les trois flics, l’effet est destructeur pour le gouvernement Holland, c’est toute l’hypocrisie et le cynisme des politiques qui saute aux yeux des spectateurs. L’intervention de Manuel Valls est d’une incroyable violence envers les protagonistes de l’histoire. Jimenez n’en rajoute pas sur l’opportuniste des élites, en haut de la pyramide, face à la réalité d’en bas.

Cédric Jimenez mène avec talent BAC Nord, oscillant entre films de dénonciation à l’intérieur de la police (à l’Italienne) et spectacle (à l’Américaine), il s’affirme comme un excellent metteur en scène et réussit ses scènes d’action avec une indéniable maestria. On peut toutefois regretter des choix musicaux qui soulignent d’un trait trop épais certaines séquences comme avec l’utilisation de House of the Rising Sun, ainsi que quelques ralentis sans grand intérêt. Jimenez tire le meilleur de ses acteurs, des têtes d’affiches aux plus petits rôles, ils sont parfaits et participent pleinement de cette impression de réalité que renforce un excellent travail sur les décors. Reconstitution impeccable d’une efficacité rare dans le cinéma d’action français.

BAC Nord frappe fort, de quoi ébranler bien des certitudes.

Fernand Garcia

BAC Nord un film de Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, Karim Leklou, François Civil, Adèle Exarchopoulos, Kenza Fortas, Cyril Lecomte, Michaël Abiteboul, Idir Azougli, Vincent Darmuzey, Jean-Yves Berteloot ; Kaïs Amsis, Foued Nabba…  Scénario : Cédric Jimenez et Audrey Diwan. Image : Laurent Tangy. Décors : Jean-Philippe Moreaux. Costumes : Stéphanie Watrigant. Casting : Sandra Durando. Montage : Simon Jacquet. Musique : Guillaume Roussel. Producteurs : Vincent Mazel & Hugo Sélignac. Production : Chi-Fou-Mi Productions – StudioCanal – France 2 Cinéma participation : Canal+ – Ciné + – France Télévisions – Ma Région Sud. Distribution (France) : StudioCanal (Sortie France le 18 août 2021). France. 2021. 105 mn. Format image : 2,35 :1. Couleur. Sélection Officielle – Hors compétition – Festival de Cannes, 2021. Tous Publics avec avertissement « De nombreuses scènes de violence peuvent heurter le sensibilité du public« .