Alléluia – Fabrice du Welz

Gloria, mère d’une petite fille, travaille à la morgue. Elle manipule des cadavres à longueur de journée, sa vie est morne. Encouragée par une amie, elle répond à une annonce sur un site de rencontres. Gloria donne rendez-vous à Michel. Il est élégant, beau parleur, représentant en chaussures. Gloria est sous le charme. Ils finissent la nuit ensemble. Au petit matin, il lui demande habillement de l’argent pour conclure une affaire. Gloria accepte. Ils doivent se revoir, mais Michel est fantasque et disparaît. Folle de rage, Gloria décide de le retrouver. Elle découvre que Michel est un petit gigolo. Il débusque des femmes seules, veuves pour la plupart, afin de les dépouiller. Mais Gloria en pince follement pour lui, et peut-être pour la première fois Michel n’est pas insensible à l’amour d’une femme. Un étrange couple se forme. Gloria décide de suivre Michel dans son « activité professionnelle » tout en bouillant de jalousie…

Alleluia LD LL

Alléluia reprend un extraordinaire faits-divers. A la fin des années 40 aux Etats-Unis, Raymond Fernandez et Martha Beck se rencontrent. Elle est infirmière à la morgue, lui un petit arnaqueur. Fernandez rencontre des femmes par le biais de petites annonces dans les journaux et les vole. Elle est grosse, extravertie et pas particulièrement belle. Lui, d’origine hispanique, introverti, veule et est déjà marié en Espagne. Ce couple improbable, fusionnel et éperdument épris l’un de l’autre, va plonger dans une spirale de violence inouïe, pas moins de vingt meurtres dont celui d’une petite fille de deux ans. Arrêtés, l’affaire fait la une de la presse américaine, les deux amants sont surnommés les « Lonely Hearts Killers » (les tueurs de cœurs solitaires). La relation trouble Fernandez – Beck fascine le public par son mélange d’amour fou, de perversion sexuelle et de meurtres. Ils sont condamnés à la peine capitale. Le 8 mars 1951, Raymond Fernandez et Martha Beck sont exécutés sur la chaise électrique.

Cette relation hors norme impressionne grandement les Surréalistes et donne naissance à plusieurs films dont deux tout à fait remarquables : Les tueurs de la lune de miel (The Honeymoon Killers) de Leonard Kastle en 1969 et Carmin Profond de Arturo Ripstein en 1997, transposition du faits-divers au Mexique.

 

Alleluia

Alléluia reprend la trame de ce drame en le situant dans les Ardennes.  C’est dans un univers glauque et poisseux que Fabrice du Welz fait éclore avec une grande force de suggestion la relation fusionnelle entre Michel et Gloria. Par le biais d’étonnantes séquences à la lisière du surréalisme, il caractérise les deux personnages dans leurs rapports à l’imaginaire. Une simple chanson à la morgue, moment absurde, morbide et de toute beauté définit avec une grande élégance le personnage de Gloria. Un pur instant de magie. Une danse nue de nuit autour d’un feu des amants diaboliques, fusion total entre ces deux êtres. Deux corps rouges, d’un rouge pur comme les doigts d’une main que l’on passe devant une source lumineuse. Michel et Gloria en parfaite osmose avec les forces les plus primaires de la nature. Cette scène renvoie à Raymond Fernandez; celui-ci en effet avait été initié au vaudou et à la magie noire. Saluons au passage le remarquable travail sur les décors d’Emmanuel de Meulemeester et l’excellente photographie de Manuel Decosse. Chaque image dégage une profondeur sombre, organique, qui s’inscrit durablement dans l’esprit du spectateur. Excellent choix esthétique que celui de la pellicule, support chaud et vivant en parfaite adéquation avec le propos.

Alleluia

Alléluia se focalise sur trois rencontres, trois meurtres. Si la mise en place des deux premières est remarquable, la dernière est plus bancale. Le choix d’Helène Noguerra, en jeune veuve riche et mère d’une petite fille, s’avère moins judicieux que celui d’Edith Le Merdy et Anne-Marie Loop. Elle n’enrichit son personnage que de sa jolie plastique. Le film patine alors un petit peu dans la mise en place des liens entre le couple et la petite fille et de sa mère avec Gloria. Contrairement à Kastle et Ripstein, Fabrice du Welz n’ose pas aller jusqu’au bout de cette épouvantable aventure criminelle, mais grâce à une scène de « lutte sauvage » entre Gloria et Michel le film se remet sur les rails jusqu’à une très belle et symbolique conclusion.

Laurent Lucas et Lola Dueñas sont indissociables de la réussite du film. Ils réussissent avec un jeu et un tempérament totalement à l’opposé à retranscrire le maelstrom de sentiments fous qui submerge les personnages. Fabrice du Welz utilise habillement l’origine espagnole de Lola Dueñas pour faire de Gloria un personnage de chair, de désirs et de passions toutes latines.

Après son remarquable Calvaire en 1999, un ambitieux mais bancal Vinyan en 2008, Fabrice du Welz s’était perdu dans le pathétique Colt 45, aperçu cette année sur les écrans. Alléluia marque son retour à un cinéma à la hauteur de son talent. Nous attendons la suite avec impatience.

Fernand Garcia

Alleluia aff

Alléluia – Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2014 – L’Etrange Festival 2014 – PIFFF 2014. Grand Prix, double prix d’interprétation et meilleur réalisateur au Austin Fantastic Fest, USA 2014.

Alléluia, un film de Fabrice du Welz avec avec Lola Dueñas, Laurent Lucas, Helena Noguerra, Edith le Merdy, Anne-Marie Loop, Pili Groyne, Stéphane Bissot, David Murgia, Sorenza Mollica. Scénario : Fabrice du Welz et Vincent Tavier. Adaptation et dialogues : Romain Protat. Directeur de la photo : Manuel Dacosse. Architecte décorateur : Emmanuel de Meulemeester. Costumes : Christophe Pidre et Florence Scholtes. Maquillage : Urteza da Fonseca. Son : Ludo van Pachterbeke, Fred Meert, Emmanuel de Boissieu, Valène Leroy et Bertrand Boudaud. Montage : Anne-Laure Guégan. Musique : Vincent Cahay. Producteurs : Vincent Tavier – Clément Miserez – Matthieu Warter & Bart van Langendonck. Coproducteur : Jacques-Henri et Olivier Bronckart & Fabrice du Welz. Production : Panique – Radar Films – Savage Film en coproduction avec One Eyed et Versus Production produit avec l’aide du centre du cinéma et de l’audiovisuel de la fédération Wallonie-Bruxelles et de Voo – de la Walonnie – du Fonds audiovisuel de Flandre (VAF) – du Tax Shelter du gouvernementfédéral belge et des investisseurs tax shelter en association avec Inver Invest – de Betv – de Canal+ – de Ciné+ – de Cofinova 8 – du programme media development – Slate Funding de la commission européenne. Distribution (France) : Carlotta. Belgique-France. Couleurs. 2014. 93 mn.