Dracula est quasiment né avec le Cinématographe. Publié pour la première fois en mai 1897, le roman de Bram Stoker est le fruit d’un long travail étalé sur près d’une décennie. Œuvre dense et magnifique, Dracula connaît un succès immédiat dans l’Angleterre puritaine de l’époque. Considéré par Oscar Wilde comme « le plus beau roman du siècle », il s’impose comme une véritable « Bible du vampirisme », tant le travail méticuleux de Stoker embrasse l’histoire – du mythe de Vlad Țepeș – le folklore, les anciennes croyances, le romantisme allemand, et tout un imaginaire vampirique issu des âges, chargé d’une puissance d’évocation érotique et sexuelle. En 1922, F. W. Murnau en propose une adaptation sauvage et inoubliable : Nosferatu. La production est poursuivie pour plagiat par la veuve de Bram Stoker, Florence Ann Stoker. Elle obtient gain de cause, des dommages et intérêts, ainsi que l’ordonnance de destruction du négatif et des copies. Fort heureusement, ce verdict ne sera pas appliqué.
En 1931, la première version officielle de Dracula est portée à l’écran par Tod Browning, produite par Universal, avec Bela Lugosi dans le rôle-titre (une version espagnole, tout aussi remarquable, est tournée en parallèle). Dracula vampirise définitivement l’imaginaire des salles obscures. En 1958, la Hammer révolutionne le genre en apportant le Technicolor à son Cauchemar de Dracula, admirablement mis en scène par Terence Fisher. La charge érotique, l’apparition spectaculaire des canines, foudroient le public d’alors. Christopher Lee confère au personnage une dimension aristocratique et une bestialité jusque-là inédite. Les films s’enchaînent, du chef-d’œuvre à la série B, du drame à la comédie : Dracula meurt et ressuscite sans cesse. En 1992, Francis Ford Coppola revient aux sources — c’est-à-dire au roman de Bram Stoker — pour une somptueuse version qui embrasse tout ce qui a été fait auparavant tout en réintroduisant pleinement l’aspect littéraire du texte.

Dracula et sa cohorte de vampires ont stimulé l’imagination de nombreux cinéastes à travers le monde. Luc Besson se plonge à son tour dans le mythe. Il n’est d’ailleurs pas le premier réalisateur français à réinvestir cette figure classique : en 1976, Édouard Molinaro en avait donné une version parodique avec Dracula, père et fils, où se côtoyaient Christopher Lee et Bernard Menez. Besson s’éloigne, heureusement, de la comédie à la française pour proposer une version plus classique, qui puise autant dans l’histoire du genre que dans l’esthétique de Coppola et le roman de Bram Stoker.
Besson suit à grands traits le récit originel pour en faire avant tout une grande histoire d’amour qui traverse le temps. Vlad (Caleb Landry Jones) est éperdument amoureux d’Elisabeta (Zoë Bleu). Alors qu’il mène ses troupes au combat contre les Turcs, son château est attaqué. Elisabeta est tuée par les assaillants. Fou de douleur, Vlad se rebelle contre Dieu : un acte irréparable qui le condamne à la vie éternelle et à une errance à travers les siècles en tant que vampire. Il se lance alors, accompagné des femmes qu’il a vampirisées, dans une quête désespérée : retrouver la réincarnation de son amour perdu. Plus de quatre siècles après ces événements, il est mystérieusement attiré à Paris, où l’on prépare la célébration du centenaire de la Révolution française. Là, une jeune femme, Mina, présente un visage identique à celui d’Elisabeta.

Luc Besson déplace l’action de Londres à Paris. À l’instar de Coppola, qui déclarait à l’époque que Dracula était « une histoire d’amour exceptionnelle », Besson se concentre lui aussi sur un amour qui transcende l’espace et le temps. Il évacue en revanche la fascination « naturelle » que Dracula exerce traditionnellement sur les femmes pour introduire un élément qui semble tout droit sorti du Parfum (1985) de Patrick Süskind. À la manière de Jean-Baptiste Grenouille, Dracula met au point une fragrance capable de dominer les êtres et de faire chavirer les esprits. Cet ajout ne fonctionne guère : il n’apporte rien au mythe et transforme une scène de bal en une sorte de vidéo-clip à la manière de Mylène Farmer.
Ce qui intéresse le cinéaste de créer un conte romantique suspendu hors du temps, mais les images, trop propres, trop impeccables, manquent de cette rugosité, de cette ambiguïté sensorielle qui font la force du vampire au cinéma. Son Dracula reste à la surface d’une iconographie gothique, ce qui est dommage, car certaines situations et décors comme celui de la cellule de la vampire sont remarquable. Par son aspect esthétiquement décousu, le Dracula de Besson, évoque davantage la publicité de luxe que l’expressionnisme ou l’épouvante classique. Il n’en reste pas moins un film plaisant, avec quelques belles séquences, où comme à son habitude, Besson privilégie la chorégraphie et l’esthétisation des gestes. Mais à trop lissé l’univers de Dracula, cette élégance finit parfois par dévitaliser le récit. Lisse, policée, l’image peine à rendre la dualité fondamentale de Dracula : l’attirance et la menace, la sensualité et l’horreur, le sublime et le monstrueux. L’enquête menée par le prêtre (Christoph Waltz), sorte d’exorciste de vampires, et le docteur Dumont (Guillaume de Tonquédec) peine à trouver le bon rythme, desservie par des dialogues qui ont du mal à susciter l’intérêt. La confrontation finale entre Dracula et le prêtre, assez surprenante, s’avère néanmoins cohérente dans la logique d’un amour expiatoire.

Caleb Landry Jones incarne un Dracula habité, animé d’une conviction de chaque plan. Il cherche à apporter sa propre nuance à une partition déjà bien noircie, conférant au personnage une exaltation adolescente, plus victime de ses sentiments que véritable maître tout-puissant des ténèbres. À ses côtés, Zoë Bleu, fille de Rosanna Arquette, ne démérite pas dans le double rôle d’Elisabeta et de Mina. L’Italienne Matilda De Angelis, quant à elle, se révèle surprenante dans son incarnation d’une vampire à la fois fragile et dangereuse.
Le Dracula proposé par Luc Besson demeure un véritable spectacle cinématographique, sans autre prétention : une relecture romantique et grandiloquente d’un mythe immortel, séduisante par moments, frustrante à d’autres, mais toujours animée d’un certain plaisir de cinéma.
Fernand Garcia
Photos copyright LBP- EuropaCorp – TF1 Films Production – SND – Shanna Besson

Dracula (Dracula : A Love Tale), un film de Luc Besson avec Caleb Landry Jones, Christoph Waltz, Zoë Bleu, Guillaume de Tonquédec, Matilda De Angelis, Ewens Abid, Raphael Luce, David Shields, Bertrand-Xavier Corbi… Scénario : Luc Besson d’après Bram Stoker. Image : Colin Wandersman. Décors : Hugues Tissandier. Costumes : Corinne Bruand. Réalisateur seconde équipe : Barthélémy Grossmann. Montage : Lucas Fabiani. Musique : Danny Elfman. Producteur : Luc Besson. Production : Luc Besson Production – EuropaCorp – TF1 Films Production – SND Films – Canal + – Ciné+OCS – TF1 – TMC. Distribution (France) : SND (Sortie le 30 juillet 2025). France. 2025. 2h09. Couleur. Arri Alexa 35. Anamorphique. Format image : 2.39:1. Interdit aux moins de 12 ans.