Partie 2/2 : Mise en scène – Approche technique et esthétique – Analyse et conclusion
Ecrit par Paul Thomas Anderson, le scénario d’Une Bataille après l’autre est librement inspiré du roman Vineland de Thomas Pynchon. En effet, Anderson ne transpose pas l’œuvre de manière littérale à l’écran, mais reprend ses motifs principaux, comme la mémoire, le militantisme vieillissant, l’absurdité bureaucratique, le temps perdu, la contre-culture, la surveillance, la filiation ou le désenchantement politique, pour restructurer le récit en combinant des histoires. Oscillant entre réalisme et allégorie, le récit alterne entre le passé militant radical et l’abandon des idéaux, avec, après une ellipse de temps de 16 ans, le présent et les menaces des institutions qui absorbent ou répriment les mouvements contestataires. La richesse thématique du film devient ainsi plus fluide, plus « légère », et son propos plus clair. Par exemple, la scène du mot de passe agit non seulement comme un élément dramatique, mais également comme une métaphore de perte de lien avec le passé. A travers les personnages qui ne sont jamais uniquement bons ou mauvais, l’écriture du scénario témoigne clairement d’une volonté d’organiser une tension morale constante. Notons enfin que, finement ciselés, les dialogues du film mêlent harmonieusement slogans militants, répliques familières et échanges intimes.
Tourné en pellicule 35 mm au format VistaVision, qui permet une profondeur de champ avec une ampleur visuelle granuleuse, des cadres larges, des panoramas, mais aussi des plans plus rapprochés sans perdre de détails, Paul Thomas Anderson utilise les cadres larges dans les scènes avec paysage, de route, de frontière ou de désert, et resserre dans les intérieurs ou les scènes de tension afin d’accentuer le sentiment de surveillance ou d’étouffement. Le réalisateur juxtapose les espaces ouverts et les espaces clos pour accentuer la gravité du combat et l’enfermement psychologique. Toujours en mouvement dans les scènes d’action et de chaos, avec des travellings, une caméra portée ou encore des cadrages dynamiques, rarement statique, mis à part pour les scènes plus intimes ou elle se rapproche pour capter les expressions, les émotions, et permettre aux visages, aux silences et aux non-dits de parler, la caméra d’Anderson s’adapte parfaitement aux différents rythmes du film.

La lumière joue également un rôle essentiel dans l’esthétique du film. La lumière naturelle, les contrastes forts, les scènes de crépuscule ou nocturnes saturées de noirs ou de couleurs vives, marquent les moments ruptures ou de violence, et soulignent les états d’âme des personnages. Si le style ou l’esthétique peuvent parfois rappeler le cinéma de genre (thriller, action), le regard critique du cinéaste, son ironie et sa distance ne manquent pas de nous démontrer que nous sommes bien avant tout dans un vrai film d’auteur.
« J’ai beaucoup de chance de pouvoir travailler avec les mêmes collaborateurs depuis de nombreuses années. Le travail d’équipe, c’est ce que je préfère quand je tourne – la complicité qu’on noue avec les personnes avec qui on travaille, la confiance qu’on leur accorde, l’admiration qu’on leur porte, et l’entraide qui se manifeste quand on est fatigués ou qu’on a besoin de soutien. C’est un sport collectif, c’est évident, et je suis entouré de gens que j’adore et qui forment une famille. C’est au fondement de tout le reste. ». Paul Thomas Anderson.
Alternant séquences haletantes (action, poursuites) et moments de respiration (dialogues, moments de solitude) le montage d’Andy Jurgensen parvient à maintenir la tension sur toute la durée du film (2h41). Notons qu’Andy Jurgensen a déjà collaboré avec le cinéaste sur Licorice Pizza ainsi que sur le court-métrage Anima (2019) qui mettait en scène Thom Yorke. Les ellipses temporelles, dont celle de seize ans, sont utilisées de manière efficace et impliquent le spectateur qui doit recomposer, combler les blancs, imaginer ce qui a bien pu se passer. Le montage alterne les rythmes. Pour la première partie du film (militantisme, confrontation), le rythme est effréné et le montage des scènes d’action est nerveux. Pour la seconde partie qui laisse place à des moments suspendus avec des scènes plus calmes d’introspections, favorisant les silences et les regards, le rythme devient plus lent. Malgré la complexité du récit, le montage adopte le point de vue de Bob ou de ses alliés, ce qui permet de toujours comprendre les enjeux posés et de rendre le film parfaitement lisible et fluide. Implicites, les flashbacks du film évitent de recourir à une voix-off redondante et renforcent l’immersion du spectateur. Si le montage joue parfois à nous désorienter, ce n’est que pour traduire et nous faire ressentir la paranoïa, la confusion ou l’urgence.

Signée, aux côtés de Paul Thomas Anderson, du directeur de la photographie Michael Bauman, l’image d’Une Bataille après l’autre est très texturée. Les images sont à la fois spectaculaires et lisibles. On apprécie particulièrement la belle texture granuleuse et chaleureuse de la pellicule et son rendu organique incomparable (la poussière est palpable), la profondeur de champs, la sobriété des plans ou encore la grande précision de l’éclairage et le soin du détail apporté aussi bien aux scènes de nuit qu’à celles sous lumière artificielle. Le contraste entre lumière et ombre est non seulement maîtrisé mais parfaitement exploité. A la fois esthétiques et métaphoriques, certains plans (frontière, ciel, route, horizon) sont composés comme des tableaux. Les intérieurs et les visages usés ou fatigués sont traités avec douceur et réalisme. Dans les scènes de clandestinité ou de fuite, les jeux d’ombre, les contre‑jours, les silhouettes, les fenêtres et les portes comme encadrements visuels, renforcent aussi bien la claustrophobie que la menace latente. Bauman réussit magistralement à composer des images qui supportent à la fois l’épique et l’intime. Michael Bauman a déjà travaillé avec le cinéaste en tant que Chef éclairagiste sur The Master et comme Directeur de la photographie sur Licorice Pizza.
Si le film a principalement été tourné en décors naturels, conçus par la directrice artistique Florencia Martin, qui elle aussi a travaillé avec le réalisateur sur Licorice Pizza et à qui l’on doit entre autres les décors de films comme Manchester by the Sea (2016), Babylon (2022) ou Blonde (2022), les décors du film alternent entre domiciles modestes, intérieurs banals, espaces de clandestinité, cachettes, bunkers ou centres de détention oppressants, et paysages grandioses, routes désertes, zones frontières, villes saturées. Le contraste entre les espaces intérieurs et extérieurs est très marqué. Avec les objets usagés, les voitures sales, les bâtiments vieillissants, les néons, les graffitis, les poteaux électriques, les arbres ou encore les routes poussiéreuses, les décors de Florencia Martin participent à la texture du film et rendent crédible un monde à la fois stylisé, brutal et usé, avec des traces de survie du militantisme passé. La direction artistique renforce également la tension psychologique du film.

Créés par Colleen Atwood, cheffe costumière « attitrée » de cinéastes comme Michael Mann (Manhunter, 1986 ; Public Enemies, 2009 ; Hacker, 2015), Jonathan Demme (Veuve mais pas trop…, 1988 ; Le Silence des Agneaux, 1991 ; Philadelphia, 1994 ; Beloved, 1999), Tim Burton (Edward aux mains d’argent, 1990 ; Ed Wood, 1994 ; Mars Attacks !, 1996 ; Sleepy Hollow, 1999 ; La Planète des singes, 2001 ; Big Fish, 2004 ; Sweeney Todd, 2007 ; Alice au Pays des Merveilles, 2010 ; Dark Shadows, 2012 ; Big Eyes, 2015 ; Miss Peregrine et les enfants particuliers, 2016 ; Dumbo, 2019 ; Beetlejuice Beetlejuice, 2024), Rob Marshall (Chicago, 2002 ; Mémoires d’une geisha, 2006 ; Nine, 2010 ; Into The Woods, 2014 ; La Petite Sirène, 2023) ou encore Andrew Niccol (Bienvenue à Gattaca, 1998 ; Time Out, 2011), les costumes du film servent à la fois la caractérisation sociale, idéologique et temporelle. On retrouve des vêtements pratiques et robustes de militants révolutionnaires, des vêtements de clandestins marqués par l’usure et servant la dissimulation, des vêtements d’adolescente pour Willa, ou encore des uniformes ou costumes d’apparat signalant le pouvoir, le maintien social ou le contrôle. A travers les costumes, Colleen Atwood joue aussi sur les contrastes avec des tissus sombres ou luxueux selon les personnages.
Composée par Jonny Greenwood, membre du groupe Radiohead qui déjà collaboré avec Paul Thomas Anderson sur les films There Will Be Blood, The Master, Inherent Vice, Phantom Thread et Licorice Pizza, et à qui l’on doit également entre autres les musiques des films La Ballade de l’impossible (2011) de Tran Anh Hung, We Need to Talk About Kevin (2011) et A Beautiful Day (2017) réalisés par Lynne Ramsay, la bande originale d’Une Bataille après l’autre est tendue et nerveuse, parfois minimale et souvent dissonante, accentuant ou installant les moments de tension, l’atmosphère de paranoïa, l’attente ou le danger latent. La musique accompagne autant les scènes spectaculaires que les scènes intimes. Dans les scènes d’action ou d’urgence, la musique se fait même pressante. En contraste, dans les scènes d’intimité, cette dernière s’efface, laissant place aux bruits ambiants, aux silences, aux voix, aux dialogues, souffles et respirations. Le compositeur utilise parfois des instruments ou des timbres inhabituels pour accentuer la singularité sonore du film et rendre audible la tension intérieure des personnages autant que celle visible. Avec ses contrastes atmosphériques, ses motifs obsédants ou ses explosions sonores, jouant un rôle dramatique fort, Jonny Greenwood parvient à faire de la musique un personnage à part entière du film, une présence presque physique qui augmente l’intensité émotionnelle et dramatique. Notons également que des chansons déjà existantes apparaissent aussi dans le film pour souligner une époque ou un souvenir.
Pour ne donner que quelques exemples de moments forts, de scènes clés marquantes ou de dialogues significatifs qui donnent son ampleur dramatique remarquable et illustrent la parfaite construction du film dans son propos, dans l’articulation de ses thèmes et dans sa dramaturgie, on peut, sans trop en dévoiler, souligner entre autres la séquence d’ouverture, l’ellipse temporelle, la scène du mot de passe, les scènes d’intimité ou d’action, les caractères et différentes philosophies de vie des personnages, ou encore, la séquence de fin.

Dès la séquence d’ouverture et son intensité remarquable, Une Bataille après l’autre impose un univers de tension, d’idéalisme et de chaos. On y voit Perfidia Beverly Hills, enceinte et armée, accompagnée de Bob Ferguson, encore connu sous son pseudonyme de guerre « Pat », mener un assaut contre un centre de détention pour migrants à la frontière. Les deux personnages agissent au nom du collectif révolutionnaire clandestin French 75. Mobile et nerveuse, la caméra suit les assaillants dans une lumière d’aube poussiéreuse et la photographie granuleuse vient renforcer le sentiment d’urgence et d’improvisation. C’est dans ce contexte que le film s’ancre dans une tradition militante tout en en soulignant ses excès, sa radicalité. L’irruption de Lockjaw qui, dans une confusion entre panique et défi hurle à Bob « Who are you ?! » lance une question anodine qui va devenir la ligne de fuite de tout le film : Qui est Bob Ferguson ? Qui était-il ? Qui est-il devenu ? Cette question inaugure la thématique identitaire profonde que le film ne cessera de travailler.
Seize ans plus tard, après une ellipse qui laisse volontairement le spectateur désorienté, on trouve Bob dans un état affaibli qui vit reclus dans une zone rurale. Dissimulé sous une fausse identité, il est seul, alcoolique et paranoïaque, perdu dans sa propre vie. Dans une scène significative poignante où Bob tente de rétablir un contact, celui-ci a oublié un mot de passe crucial, vestige d’un passé révolutionnaire qu’il a fui. Cristallisant la fracture entre l’homme qu’il a été et celui qu’il est devenu, ce moment est capital. Le mot de passe oublié fonctionne ici comme une métaphore de l’amnésie politique, de la culpabilité, mais aussi du désenchantement. L’insistance sur les bégaiements de Bob à cet instant traduit une véritable panique intérieure, une honte muette face à la perte de ses propres repères et de ses capacités, face à la perte de soi.
Le film articule ainsi très finement une dialectique entre le passé idéologique et le présent désabusé. Parallèlement, cette tension s’exprime aussi à travers la relation entre Bob et sa fille Willa qui se tisse dans les scènes quotidiennes et témoigne du dialogue avec la nouvelle génération. Dans une scène intimiste où Bob tente d’expliquer à sa fille les raisons de l’absence de sa mère, Willa va renverser les rôles et questionner son père, réclamer des comptes, dévoilant ainsi la culpabilité du père mais aussi le fardeau silencieux qu’elle porte en elle. Modeste en termes de mise en scène (deux chaises, peu de mouvement, caméra fixe, pas de musique), cette scène gagne en puissance par l’économie de ses moyens, laissant les acteurs porter l’émotion brute sans artifice. Ces instants de calme dans le film donnent du poids aux moments d’action ou de violence et les rendent crédibles. Tout l’équilibre narratif du film repose sur le contraste que crée l’alternance de ces séquences.
« Les choses que je trouve drôles sont les choses que je trouve drôles, c’est aussi simple que ça. Quand on est sur le plateau, la scène n’est pas drôle si les acteurs avec qui on travaille cherchent à être drôles. En général, l’humour vient d’une situation sincère ou du fait que les acteurs sont investis dans ce qu’ils font. […] Il y a de l’humour dans l’absurdité de la nature humaine. » Paul Thomas Anderson.
Autre exemple frappant, la séquence du raid rocambolesque au lycée. Deandra, ancienne camarade des French 75, intervient dans un chaos effréné pour sauver Willa des mains Lockjaw alors que celle-ci est en pleine fête de lycée. Personnage-clé, à travers ses répliques « humoristiques » rappelant que les personnages évoluent dans un univers saturé de références culturelles leurs permettant de rendre supportables les actes extrêmes qu’ils commettent, Deandra apporte une touche d’humour noir cathartique, une tonalité décalée et ironique qui permet de désamorcer la violence tout en la questionnant et de donner une respiration au film. Jusqu’où l’imaginaire hollywoodien façonne-t-il les idées politiques ?

De manière plus subtile, le personnage de Sensei Sergio St. Carlos incarne la réflexion philosophique du récit. Lors d’une scène nocturne autour d’un feu de camp improvisé, Sergio et Bob discutent de la notion de liberté. Inspirée au réalisateur par une phrase de Nina Simone sur ce qu’est la liberté (« Je vais vous expliquer ce qu’est la liberté. C’est cesser d’avoir peur. Voilà ce que c’est. »), une fameuse réplique de Sergio à l’absurdité apparente va elle aussi venir mêler pop culture et aspiration politique. Dans l’ironie de sa métaphore, la réplique de Sergio sur ce qu’est la liberté va se révéler hautement significative pour Bob qui, englué dans la peur et le remords, est précisément incapable de retrouver une liberté. Sergio ne sermonne pas, mais, sur un ton calme, il suggère, il interroge. Ce dialogue met en lumière l’un des enjeux majeurs du film, à savoir la liberté comme réalité concrète et non comme slogan. Bien que drôle et ironique, cet échange dans un moment de calme est important dans le message moral et intellectuel que véhicule le film.
Le personnage de Perfidia donne lui aussi lieu à plusieurs scènes fortes, notamment celle dans la cellule d’interrogatoire où elle est confrontée à Lockjaw et lui rappelle les faits, les trahisons et les ambitions croisées. La confrontation prend alors la forme d’un duel verbal et tendu où la domination est inversée. Bien que prisonnière, avec son langage, sa posture et son regard, Perfidia conserve une forme de contrôle symbolique. Après les confrontations, la partie finale du film propose une scène de clôture des plus émouvantes. Uniquement portée par l’image et le son, sans parole, c’est la mise en scène pure (les cadres et les mouvements de caméra) de cette scène qui en devient le langage. Sans victoire manifeste et sans glorification ni certitude, le film suggère la transmission du flambeau, suggère une promesse. Poétique, la fin ouverte où la lutte annoncée dans le prologue trouve une forme de résonance dans la génération suivante, invite à la réflexion. Ni gagnée ni perdue, la « bataille » continue…
De l’écriture au montage en passant par les performances marquantes des comédiens, la photographie, les décors, les costumes ou encore la musique, dans une parfaite cohérence, un parfait équilibre, et au diapason avec l’univers et la mise en scène aussi soignée que précise du cinéaste, chacun des éléments artistiques du film participe à sa singularité, à son ambiance et à sa réussite. Ce qui impressionne dans Une Bataille après l’autre, c’est l’harmonie totale qui existe entre le fond et la forme. Rien n’est laissé au hasard. Tout est pensé pour servir le propos. Paul Thomas Anderson s’entoure ici d’une équipe technique au sommet de son art. Le scénario d’Anderson nous offre dans le même temps du grand spectacle, de l’action et une profondeur psychologique rare. Michael Bauman sublime les décors naturels via une photographie immersive et contrastée. Les décors de Florencia Martin incarnent un monde préoccupé et donnent aux lieux réalisme et symbolisme. Le montage d’Andy Jurgensen découpe le récit avec rigueur et précision pour renforcer l’atmosphère et dynamiser la narration. La musique de Jonny Greenwood insuffle un souffle vital à chaque idée du film. Loin d’être de simples accompagnateurs du récit, ces artistes « techniques » incarnent l’esprit de ce que doit être le cinéma, à savoir, sublimer le réel par l’art, exprimer l’invisible. Plus qu’un simple exercice de style maîtrisé, Une Bataille après l’autre fonctionne comme une allégorie technique où chaque élément soutient parfaitement aussi bien l’histoire du film que les caractères des personnages et leurs destins. La cohérence esthétique du film renforce son impact émotionnel. Une Bataille après l’autre fonctionne comme une allégorie technique où chaque élément participe activement aux thématiques et au message du film.

Tout en restant maitrisé et exigeant aussi bien sur la forme et l’esthétique que dans la narration, Une Bataille après l’autre est de loin le film le plus spectaculaire et divertissant de son auteur. Grand public, le film n’en est pas moins ambitieux et dense dans le développement de ses thématiques (extrémisme, autoritarisme, radicalisation, immigration, parentalité…), son discours politique et ses résonances sociales actuelles. Paul Thomas Anderson et son équipe technique ont créé une œuvre à la fois esthétique, narrative et philosophique, une œuvre importante pour le cinéma. Une œuvre importante pour aujourd’hui.
Comparables à celles de There Will Be Blood, l’ampleur et l’ambition d’Une Bataille après l’autre sont indiscutables. L’influence littéraire de Thomas Pynchon et le côté satirique du film rapproche évidemment ce dernier d’Inherent Vice. Les rapports de pouvoir et d’autoritarisme qui sont développés rappellent quant à eux The Master. Le nombre important de personnages et la maîtrise des récits entremêlés peuvent aussi faire penser à Boogie Nights et à Magnolia. Si Une Bataille après l’autre s’inscrit parfaitement dans la continuité de la filmographie de Paul Thomas Anderson, le film est plus que jamais ancré dans le présent et engagé dans le constat de la fracture sociale, de la polarisation politique, de l’ombre portée par les idéologies extrémistes sur les individus les plus « fragiles ».
Une Bataille après l’autre est une œuvre puissante et visuellement impressionnante qui combine le souffle épique, l’action, le drame intime, et la satire politique de manière magistrale. Film de contrastes, entre passé et présent, action et silence, idéal et compromis, autorité et résistance, parenté et héritage, Une Bataille après l’autre parvient à conjuguer spectacle et poésie, satire et gravité, émotion brute et critique intellectuelle. L’une des grandes forces du film est de ne pas donner de réponses simples. Celui-ci ne se contente pas de nous raconter une histoire, il interroge notre époque, notre mémoire, notre responsabilité et nos idéaux. Il nous interroge. Avec son film, Paul Thomas Anderson ne promet pas la victoire mais la persévérance. Il ne glorifie pas le militantisme aveugle mais questionne avec pertinence ce qu’il coûte et laisse derrière lui. Le film nous invite à envisager « la bataille » non comme un épisode achevé, mais comme une poursuite qui peut être différente, difficile, et toujours nécessaire. Ambitieux, viscéral et intelligent, Une Bataille après l’autre confirme, si besoin en était, que Paul Thomas Anderson compte parmi les quelques rares grands cinéastes américains contemporains à proposer des œuvres cinématographiques qui rappellent que le cinéma est un art. Immanquable.
Steve Le Nedelec

Une Bataille après l’autre (One Battle After Another), un film de Paul Thomas Anderson avec Leonardo DiCaprio, Sean Penn, Benicio Del Toro, Regina Hall, Teyana Taylor, Chase Infiniti, Wood Harris, Alana Haim, Shayna McHayle, Paul Grimstad… Directeur de la photographie : Michael Bauman. Décors : Florencia Martin. Costumes : Colleen Atwood. Montage : Andy Jurgensen. Musique : Jonny Greenwood. Producteurs : Paul Thomas Anderson, Sara Murphy et Adam Somner. Production : Warner Bros. – Ghoulardi Film Company – Domain Entertainment. Distribution (France) : Warner Bros. (Sortie le 24 septembre 2025). États-Unis. 2025. 2h41. Pellicule Kodak Vision. Panavision & VistaVision. Format image : 1.43 : 1 (IMAX et IMAX 70 mm) – 1.50:1 (VistaVision) – 1.85:1. Son : IMAX 6 pistes – Dolby Atmos – Dolby Surround 7.1 – DTS:X – DTS 70 mm – Auro 11.1. Tous Publics avec avertissement.