Le Star Fish accoste tandis que les secours arrivent sur le quai. Le docteur (Lester Matthews) monte en hâte à bord, mais ne peut que constater le décès d’un scaphandrier. Pour justifier l’accident survenu en haute mer, le commanditaire de l’expédition, Vic Rossiter (Anthony Franciosa), explique que son embarcation est à la recherche du trésor englouti d’un galion espagnol. Face à son manque d’empathie, Rosa Lucchesi (Virna Lisi) tente d’apaiser les tensions en exprimant sa compassion pour la famille du défunt, ce qui désarme en partie le médecin. Le soir venu, à la Blackbeard Taverne, le capitaine Mark Brittain (Frank Sinatra) et son second Linc Langley (Errol John) s’attardent autour d’une partie de gin rami. C’est là que Vic et Rosa viennent les rejoindre, porteurs d’une proposition…
Tout l’intérêt du Hold-up du siècle réside dans son attaque à main armée pour le moins invraisemblable — sans doute l’une des idées de casse les plus originales jamais portées à l’écran. Imaginez : un ancien lieutenant de sous-marin américain (Frank Sinatra) est recruté par un ex-marin de destroyer et sa compagne (Virna Lisi) pour remonter à la surface un U-Boot allemand de la Seconde Guerre mondiale… afin de l’utiliser pour prendre d’assaut le paquebot Queen Mary et le dévaliser.

Ce scénario délirant est signé Rod Serling, créateur de la série culte La Quatrième dimension (The Twilight Zone), dont il était non seulement le scénariste mais aussi la voix d’introduction iconique. Serling fut également à l’origine de l’étrange Night Gallery et de plusieurs scénarios marquants pour le cinéma : Requiem pour un champion (Requiem for a Heavyweight, 1962) de Ralph Nelson, Sept jours en mai (Seven Days in May, 1964) de John Frankenheimer — déjà avec Sinatra — ou encore La Planète des singes (Planet of the Apes, 1968), dont la chute finale reste l’une des plus célèbres du septième art.
Pour Assault on a Queen (titre original), Serling adapte donc le roman de Jack Finney, publié en 1959. Spécialiste du polar mâtiné de science-fiction, Finney est surtout resté célèbre pour L’Invasion des profanateurs (The Body Snatchers, 1955), publié en France sous le titre Graines d’épouvante. Devenu un classique du genre grâce au film de Don Siegel (1956), le récit inspira plusieurs remakes marquants : celui de Philip Kaufman en 1978, d’Abel Ferrara en 1993 ou encore d’Olivier Hirschbiegel en 2007, chacun actualisant la métaphore paranoïaque à son époque. Rod Serling conserve l’essentiel de l’intrigue de ce petit thriller ingénieux, mais il en infléchit certains détails. Les personnages sont globalement les mêmes, mais leurs profils se transforment. Ainsi, Brittain, qui dans le roman était un jeune New-Yorkais de 24 ans, devient un vétéran aguerri, un solide baroudeur. Ce glissement permet à Serling de dynamiser l’introduction, d’aller plus vite au cœur du récit… et surtout d’offrir à Frank Sinatra — également producteur du film — un rôle parfaitement taillé sur mesure.
Le film ne manque pas de sel (marin) dans l’opposition entre les deux sous-mariniers : l’Américain et l’Allemand. Ennemis d’hier, adversaires tapis sous les mers durant la guerre, ils se voient contraints de collaborer pour mener à bien l’attaque insensée du Queen Mary. Mais l’alliance est bancale : l’Américain, incarné par Sinatra, n’embarque qu’à contre-cœur dans l’opération. Face à lui, le rôle de l’Allemand est tenu par l’acteur et réalisateur suédois Alf Kjellin, qui campe son personnage avec un mélange de froideur et de jubilation manifeste. L’équilibre du groupe est complété par la présence de Virna Lisi, qui apporte au récit une touche de charme vénéneux, à la fois élégante et mystérieuse, donnant à son personnage une profondeur qui dépasse le simple rôle de compagne ou de faire-valoir.

Cannes, 1994. Toute la presse attend le sacre annoncé de La Reine Margot de Patrice Chéreau, promis à la Palme d’or et à un prix d’interprétation pour Isabelle Adjani. Mais le président du jury, Clint Eastwood, va doucher les espoirs de la production. Si le film repart avec le Prix du jury, c’est surtout le prix d’interprétation féminine qui crée la surprise et laisse les festivaliers sans voix. Contre toute attente, ce n’est pas Adjani qui l’emporte, mais Virna Lisi, dans un rôle secondaire pourtant : celui de Catherine de Médicis. La presse française y voit un camouflet pour sa star nationale, oubliant un peu vite que Virna Lisi est absolument prodigieuse dans le film. Elle sera d’ailleurs la première actrice étrangère à recevoir un César (meilleure actrice dans un second rôle) pour cette même composition.
Virna Lisi, en plus d’être d’une beauté renversante, était une immense actrice. Elle débute au cinéma en 1953 avec …e Napoli canta ! d’Armando Grottini, un mélodrame strappalacrime (tire-larmes), une forme de néoréalisme romanesque dans lequel la jeune comédienne s’épanouit rapidement. Ses films connaissent un succès populaire qui lui assure une grande notoriété. Elle change alors d’image : de brune, elle se métamorphose en blonde. En 1964, elle triomphe auprès d’Alain Delon dans La Tulipe noire, adaptation d’Alexandre Dumas par Christian-Jaque. Le succès du film lui ouvre les portes du cinéma français. Deux ans plus tard, nouvelle étape décisive : Ces Messieurs Dames (Signore & signori) de Pietro Germi remporte la Palme d’or à Cannes en 1966. Dans cette comédie noire, véritable chef-d’œuvre, Virna Lisi confirme son talent et attire l’attention de la Paramount, qui lui propose un contrat d’exclusivité de plusieurs années. Elle s’installe alors à Los Angeles et tourne immédiatement pour le studio. Son premier essai hollywoodien, Comment tuer votre femme (How to Murder Your Wife, 1965) de Richard Quine, aux côtés de Jack Lemmon, est un succès. Elle enchaîne avec Deux minets pour Juliette ! (Not with My Wife, You Don’t !, 1966), comédie signée Norman Panama où elle partage l’affiche avec Tony Curtis et George C. Scott. Puis vient Le Hold-up du siècle (Assault on a Queen, 1966), troisième réussite commerciale.

À Hollywood, Virna Lisi est au sommet. Sinatra tombe sous son charme, mais elle repousse ses avances et reste fidèle à son mari. Elle refuse également de poser nue pour Playboy, malgré l’insistance de Hugh Hefner. Pourtant, derrière les paillettes, l’actrice commence à se lasser : strip-teaseuse, infirmière, aventurière… les rôles qu’on lui confie ne sont souvent que des faire-valoir, la cantonnant à une image de « sous-Marilyn Monroe ». Lucide, Virna Lisi décide de rompre son contrat avec la Paramount. Un choix coûteux – elle doit payer d’importantes pénalités – mais nécessaire pour retrouver sa liberté artistique. De retour à Rome, elle décline un autre projet d’envergure : Barbarella. Malgré l’insistance de Dino De Laurentiis et Roger Vadim, elle refuse de tourner en bikini, voire complètement nue. Le rôle échouera finalement à Jane Fonda, sous la direction de Vadim, son mari. Son nom restant prestigieux aux États-Unis, les propositions continuent d’affluer. De retour en Europe, Virna Lisi participe à de grandes coproductions franco-italiennes. Elle retrouve le registre mélodramatique avec L’Arbre de Noël (1969), réalisé par Terence Young, l’homme des premiers James Bond, où elle partage l’affiche avec William Holden et Bourvil. Hollywood ne l’oublie pas pour autant : elle apparaît dans Mardi, c’est donc la Belgique (If It’s Tuesday, This Must Be Belgium, 1969) de Mel Stuart, et dans Le Secret de Santa Vittoria (1969) de Stanley Kramer, aux côtés d’Anthony Quinn, Hardy Krüger et de sa compatriote Anna Magnani — deux productions américaines tournées sur le vieux continent.
Elle est également en tête d’affiche de deux grandes fresques signées Henri Verneuil : La Vingt-cinquième heure (1967), adapté du roman de Virgil Gheorghiu, face à Anthony Quinn, et Le Serpent (1973), thriller d’espionnage au casting international impressionnant (Yul Brynner, Henry Fonda, Dirk Bogarde, Philippe Noiret). Malgré le succès de ces films, Virna Lisi traverse une période paradoxale. Alors que le cinéma italien connaît son âge d’or avec Fellini, Visconti, Antonioni ou Bertolucci, il lui manque encore ce rôle d’auteur majeur qui l’imposerait définitivement comme une actrice de tout premier plan. Elle choisit cependant d’accepter deux rôles marquants dans des films sulfureux : Au-delà du bien et du mal (Al di là del bene e del male, 1976) de Liliana Cavani, et La Cigale (La cicala, 1980) d’Alberto Lattuada. Ces choix s’avèrent payants : Virna Lisi est couronnée à deux reprises par des prix d’interprétation en Italie. Elle brille notamment dans Joyeux Noël, bonne année (Buon Natale… Buon anno, 1989), sorte de revisitation par Luigi Comencini du classique de Leo McCarey, Place aux jeunes (Make Way for Tomorrow, 1937). Elle y forme un vieux couple émouvant aux côtés de Michel Serrault. Ce film revêt une importance particulière : c’est à cette occasion qu’elle rencontre Cristina Comencini, qui lui offrira ses trois derniers rôles au cinéma, dans Va où ton cœur te porte (Va’ dove ti porta il cuore, 1996), Le Plus Beau Jour de ma vie (Il più bel giorno della mia vita, 2002) et Latin Lover (2015), sorti peu après la disparition de l’actrice, emportée par un cancer. Dès la fin des années 1950, Virna Lisi avait déjà accepté ponctuellement des rôles pour la télévision. À partir des années 1980, elle devient un visage familier des mini-séries et téléfilms de prestige, confirmant sa capacité à traverser les époques et les formats, sans jamais perdre de son aura. Dans Le Hold-Up du siècle, Virna Lisi est la belle napolitaine, insubmersible et manipulatrice, un des charmes indéniable du film.

Niveau mise en scène, ce n’est pas le casse du siècle. Jack Donohue, ex-chorégraphe de Broadway reconverti à la télévision, se contente du strict minimum. À l’origine, le film devait être confié à Ken Hughes — un choix autrement plus cohérent —, mais pour une raison obscure, il est remplacé par Donohue. Sans doute sur l’insistance de Frank Sinatra, producteur du projet et ami de longue date, qui venait de tourner sous sa direction Les Inséparables (Marriage on the Rocks, 1965), une comédie où il retrouvait Dean Martin et Deborah Kerr. Donohue avait d’ailleurs déjà collaboré avec le Rat Pack, orchestrant plusieurs shows télévisés de Sinatra et de Martin. Au cinéma, sa carrière restait terne : il avait filmé sans éclat Doris Day dans Mademoiselle Porte-bonheur (Lucky Me, 1954), ou encore les pitreries de Red Skelton dans Taxi, s’il vous plaît (The Yellow Cab Man, 1950) et Amour et caméra (Watch the Birdie, 1950). Ici, il exploite le Cinémascope en plaçant systématiquement tous les acteurs dans le champ, comme pour réduire au minimum le découpage et les mouvements de caméra. La quasi-intégralité du film est tournée en studio et sur fond bleu, Donohue semblant s’être plié aux exigences de son acteur-producteur. Les plans extérieurs, eux, sont à mettre au crédit de Robert D. Webb, réalisateur de la seconde équipe. Ce dernier avait obtenu un Oscar dans la catégorie (éphémère) de meilleur assistant-réalisateur pour In Old Chicago (1937), film d’Henry King, son cinéaste de prédilection. Webb connut par ailleurs un succès personnel en tant que réalisateur avec Le Cavalier du crépuscule (Love Me Tender, 1956), succès largement dû à la présence d’Elvis Presley dans son premier rôle au cinéma.
Malgré les exigences de sa star, le film tourne à plein régime. L’attaque du Queen Mary par un U-Boot reste une idée aussi invraisemblable qu’originale, et l’on ajoutera que la partition musicale, adaptée de Duke Ellington, est absolument formidable. Le Hold-up du siècle, c’est du vrai cinéma du samedi soir : improbable, bancal parfois, mais diablement divertissant.
Fernand Garcia

Le Hold-up du siècle est proposé par Rimini Éditions avec, en complément, une présentation du film par Alexandre Clément, écrivain, essayiste, spécialiste du roman noir et du film noir. Une analyse de la carrière de Frank Sinatra et un retour détaillé sur le film (27 minutes).
Le Hold-Up du siècle (Assault on a Queen), un film de Jack Donohue avec Frank Sinatra, Virna Lisi, Anthony Franciosa, Richard Conte, Alf Kjellin, Errol John, Murray Matheson, Reginald Denny, John Warburton, Lester Matthews, Val Avery… Scénario : Rod Sterling d’après le roman de Jack Finney. Directeur de la photographie et producteur associé : William H. Daniels. Réalisateur 2e équipe : Robert D. Webb. Décors : Paul Groesse. Costume de Virna Lisi : Edith Head. FX : Lawrence W. Butler & Paul K. Lerpae. Montage : Archie Marshek. Musique : Duke Ellington. Orchestrations : Van Cleave. Producteur : William Goetz. Production : Seven Arts Productions – Sinatra Enterprises – Paramount Pictures. Etats-Unis. 1966. 1h46. Technicolor. Panavision. Format image : 2.35:1. 16/9e Son : Version originale avec sous-titres français et Version Française. DTS-HD (Blu-ray) et Dolby Audio (DVD) Dual Mono. Tous Publics.