Les Super-flics de Miami – Bruno Corbucci

Les Super-flics de Miami est la suite de l’énorme succès Deux super-flics, réalisé par E.B. Clucher (Enzo Barboni) huit ans plus tôt. Ce film marque la fin d’une époque pour le duo Terence HillBud Spencer, une aventure commencée en 1967 avec Dieu pardonne… moi pas ! (Dio perdona… io no!). Seize films en dix-huit ans, qui ont fait les beaux jours des cinémas de quartier et assis la popularité du tandem dans toute l’Europe — et bien au-delà. Une popularité qui ne s’est jamais démentie. Elle se manifeste encore aujourd’hui à travers le succès des éditions vidéo, les rediffusions télévisées, mais aussi grâce à l’abondante littérature consacrée aux deux comédiens, aux nombreux sites et blogs de fans, ou encore aux documentaires retraçant leur carrière. Terence Hill et Bud Spencer restent dans l’air du temps, ravivant les souvenirs d’enfance des spectateurs d’hier, tout en continuant de séduire de nouvelles générations, émerveillées — et amusées — par les aventures de ces deux inséparables lascars.

Les Super-flics de Miami tente une forme de renouvellement du duo en s’éloignant de l’aspect cartoonesque impulsé par Sergio Corbucci, pour se rapprocher d’un ton plus « sérieux », ponctué d’humour en phase avec le polar moderne. Dès la séquence d’ouverture, le film donne le ton : une scène qui évoque L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971), mais dans une version adoucie — ici, les braqueurs d’une armurerie sont neutralisés sans violence excessive, dans une forme de désamorçage comique typique du tandem. L’orientation policière est renforcée par le costume de Terence Hill, coiffé d’un feutre à la Madigan (Richard Widmark dans Police sur la ville, 1968), qui ancre davantage le personnage dans l’imaginaire du polar urbain.

Le film se situe donc dans le sillage des deux œuvres fondatrices de Don Siegel qui ont lancé, au tournant des années 70, la mode du polar urbain sec et nerveux, tout en conservant les marqueurs propres au cinéma de Terence Hill et Bud Spencer. Ce mélange donne un film hybride, au croisement de deux traditions — italienne et américaine — mais dont la tentative reste méritoire et même assez lucide et intelligente sur les tendances de son époque. Car au moment où Les Super-flics de Miami voit le jour, le cinéma américain s’oriente clairement vers le buddy movie policier, avec une mise en avant du comique de situations et des dialogues décalés. Le succès de 48 Heures (48 Hrs. 1982)de Walter Hill, avec Eddie Murphy et Nick Nolte, viendra bientôt consacrer cette formule, ouvrant la voie à une série de duos antagonistes mais complémentaire dans les années qui suivent. Le concept n’est toutefois pas totalement neuf : il trouve ses racines dans un film quelque peu oublié aujourd’hui, Les Anges gardiens (Freebie and the Bean, 1974) de Richard Rush, avec Alan Arkin et James Caan.

Le scénario des Super-flics de Miami est signé par Bruno Corbucci et Luciano Vincenzoni. Un duo pour le moins intéressant. Bruno Corbucci, frère cadet de Sergio Corbucci, débute comme scénariste en 1956. Il s’illustre dans la comédie et le péplum, avec un goût prononcé pour la parodie. Au milieu des nombreuses comédies qu’il cosigne, on trouve parfois des objets plus singuliers, comme Danse macabre (Danza macabra) d’Antonio Margheriti, superbe incursion dans le cinéma gothique italien. Il écrit également pour son frère Sergio, notamment les mythiques Django (1966) et Le Grand Silence (1968), deux piliers du western transalpin.

Il passe ensuite à la réalisation avec des Euro Spy, parodies de James Bond, tels que James Tont agent 007 ½ (James Tont operazione U.N.O.) et James Tont opération Due (James Tont Operation D.U.E.), tous deux avec Lando Buzzanca. Sa carrière, à la fois de scénariste et de réalisateur, épouse les mouvements du cinéma populaire italien, sautant d’un genre à l’autre au fil des modes, tout en restant fidèle à la comédie. Dans les années 1970, il devient l’un des réalisateurs attitrés de Tomas Milian, avec la série des poliziotteschi comiques lancée par Flics en jeans (Squadra antiscippo, 1976). Curieusement, Les Super-Flics de Miami est son premier film en tant que réalisateur avec le duo Terence Hill – Bud Spencer, même s’il avait déjà coécrit Pair et impair (Pari e dispari, 1978), réalisé par son frère Sergio Corbucci, ainsi que Banana Joe (1982), centré sur Bud Spencer seul, sous la direction de Steno. Bruno Corbucci avait toutefois dirigé Bud Spencer dans deux films : Aladdin (Superfantagenio, 1986) et Escroc, Macho et Gigolo (Cane e gatto, 1982). Sa mise en scène ici reste classique, sobre, loin des effets baroques ou des élans lyriques qui caractérisaient parfois le style de Sergio Corbucci. Un travail plus fonctionnel, recentré, dans le cas de Supers-flics à Miami, sur l’efficacité des situations et le jeu du duo.

Luciano Vincenzoni après sa collaboration avec Pietro Germi (Séduite et abandonnée, Ces Messieurs dames), entame une collaboration décisive avec Sergio Leone à partir de…Et pour quelques dollars de plus (1965), film où s’affirme le style du cinéaste : humour noir, cynisme, hyperréalisme. Il coécrit ensuite Le Bon, la Brute et le Truand (1966) puis Il était une fois… la Révolution (1971),deux chefs-d’œuvre qui l’inscrivent durablement dans la légende du cinéma mondial.

Bien qu’ancré dans la culture italienne, Vincenzoni est un fin connaisseur du cinéma américain. Il insuffle à ses scénarios des variations autour de figures, de situations ou de motifs venus de Hollywood, qu’il adapte avec une grande liberté à l’univers des cinéastes transalpins. Outre Leone, il collabore avec Elio Petri, Dino Risi, Terence Young, Sergio Corbucci, René Clément, Mauro Bolognini… Il travaille également pour le producteur Dino De Laurentiis, signant notamment Les Durs (Tough Guys, 1974), un polar dans la lignée des blaxploitations avec Lino Ventura et Isaac Hayes réalisé par Duccio Tessari, ou encore Orca (1977) de Michael Anderson, l’un des meilleurs films de l’après-Dents de la mer. C’est aussi lui qui participe à la création du personnage de Piedone (Pied-plat), incarné par Bud Spencer, un inspecteur napolitain aux méthodes expéditives dont la première aventure, Un flic hors-la-loi (Piedone lo sbirro, 1973), connaîtra un succès immense et plusieurs suites. Dans Les Super-flics de Miami, on retrouve son goût prononcé pour les codes du cinéma américain. Son association avec Bruno Corbucci donne naissance à un scénario solidement construit, qui respecte les attendus du tandem Hill/Spencer tout en cherchant à moderniser l’action et le contexte. Le film joue habilement avec les modèles du buddy movie et du polar urbain, tout en les reformulant à l’italienne, à la fois plus légers et plus burlesques.

Bruno Corbucci s’éloigne des recettes comiques les plus attendues des précédents succès du duo : les rafales de baffes, les bagarres homériques et l’abondance de gags burlesques. Sa mise en scène se fait plus neutre — peut-être trop par moments — comme s’il choisissait de mettre ces effets en sourdine. Ainsi, la scène du bus, où des punks dépouillent les passagers, ne bascule jamais dans le registre du slapstick. De même, la grande séquence finale délaisse la traditionnelle bagarre générale pour une fusillade ponctuée de quelques gags, mais qui manque de l’impact physique et spectaculaire qu’aurait pu offrir une avalanche de bourre-pifs, marque de fabrique du tandem. En contrepartie, Corbucci accorde une attention plus soutenue aux scènes dialoguées, souvent très bien écrites, qui permettent de développer la complicité entre les personnages, en particulier les femmes, et d’instaurer une forme d’intimité rare dans ce type de production. Il est appuyé en cela par la photographie de Silvano Ippoliti, qui épouse cette volonté de réalisme et donne à plusieurs scènes une tonalité plus posée, presque documentaire par instants.

Les Super-flics de Miami ne rencontrera qu’un succès en demi-teinte. Le modèle du buddy movie façon Terence Hill – Bud Spencer allait bientôt être supplanté par les grosses productions hollywoodiennes, à commencer par L’Arme fatale (Lethal Weapon, 1987) ou Midnight Run (1988), qui imposent de nouvelles dynamiques de duo et un ton plus contemporain. Hill et Spencer reformeront brièvement leur tandem en 1994, pour Petit Papa Baston (Botte di Natale), un western réalisé par Terence Hill, au charme un peu désuet.

Revoir aujourd’hui Les Super-flics de Miami, c’est redécouvrir un film plus riche qu’il n’y paraît. On y apprécie notamment la qualité d’écriture des dialogues — la version française d’époque est excellente —, ainsi qu’une forme de maturité dans le ton. Un film qui, à sa manière, s’est bonifié avec le temps.

Fernand Garcia

Les Super-flics de Miami, pour la première fois en 4K et Blu-ray (disponible aussi en DVD), une édition BQHL dans la collection Terence Hill – Bud Spencer. En complément : Une présentation du film par Jean-François Giré, juste et précise (24 minutes).

Les Super-flics de Miami (I poliziotti dell’8ª strada / Miami Supercops), un film de Bruno Corbucci avec Terence Hill, Bud Spencer, C.B. Seay, William ‘Bo’ Jim, Ken Ceresne, Jackie Castellano, C.V. Wood Jr., Richard Liberty, Rhonda S. Lundstead… Scénario : Bruno Corbucci et Luciano Vincenzoni. Directeur de la photographie : Silvano Ippoliti. Décors : Klaus Kolb. Costumes : Franco Carretti. Montage : Daniele Alabiso. Musique : Carmelo La Bionda et Michelangelo La Bionda. Producteur exécutif : Max Wolkoff. Producteur : Josi W. Konski. Production : Trans-Cinema TV – El Pico S.A. Italie – Etats-Unis. 1985. 1h36. Couleur. Format image : 1,85:1. HDR 16/9e Son : Version anglaise avec sous-titres français et Version Française. Tous Publics.