Attention les dégâts ! – E.B. Clucher

Une Rolls blanche fend la route en quittant Rio de Janeiro. Quelques kilomètres plus loin, elle explose : un attentat net, sec. Pendant ce temps, Greg Wonder (Bud Spencer), saxophoniste massif à l’allure bonhomme, joue dans un petit club de jazz. Deux hommes d’affaires viennent l’y débusquer : un contrat d’un million de dollars, affirment-ils. Dix ans de prison pour une affaire similaire ont rendu Wonder prudent, mais les 50 000 dollars d’avance finissent par le convaincre. À des milliers de kilomètres, Eliot Vance (Terence Hill), pilote acrobatique charmeur et parfaitement sûr de lui, se voit proposer la même mission. Lui non plus ne résiste pas à la promesse d’un million. Les deux hommes, qui ne se connaissent pas, sont convoqués dans un gratte-ciel new-yorkais pour découvrir ce qui se cache derrière ces offres mirobolantes…

Attention les dégâts ! est une comédie sympathique du duo Terence HillBud Spencer qui, pour ce quinzième opus, joue la carte du dédoublement. Les deux éternels pieds-nickelés se retrouvent engagés pour incarner les sosies parfaits de deux milliardaires brésiliens : les précieux et peureux Antonio et Bastiano Joao Coimbra de la Coronilla y Azevedo. Une mission de sept jours, en apparence lucrative, mais surtout périlleuse : quelqu’un cherche manifestement à éliminer les véritables cousins. S’ensuit une succession réjouissante de quiproquos, gags, poursuites et, bien sûr, de généreuses distributions de baffes — la marque déposée du duo. Au fil de leurs déboires, Wonder et Eliot parviendront à remonter la piste et à dévoiler l’identité du commanditaire des attaques. La formule, éprouvée, fonctionne toujours : humour bon enfant, rythme soutenu, un commando fantaisiste et une galerie de décors exotiques. Le Brésil sert ici d’écrin à une nouvelle aventure haute en couleurs pour les deux « frères ennemis ».

Attention les dégâts ! marque la dernière collaboration du duo Terence Hill – Bud Spencer sous la direction de E. B. Clucher. Par la suite, le réalisateur ne les retrouvera plus qu’individuellement : Terence Hill dans Renegade (1987), et Bud Spencer dans Ange ou démon (Un piede in paradiso, 1991), où le « bon géant » partage l’affiche avec Thierry Lhermitte. E. B. Clucher — pseudonyme d’Enzo Barboni — fut d’abord directeur de la photographie avant de passer à la mise en scène lors de l’âge d’or du western italien, avec Ciakmull, le bâtard de Dodge City (Ciakmull – L’uomo della vendetta, 1970). Il connaît rapidement un succès colossal grâce à On l’appelle Trinita (1970) puis On continue à l’appeler Trinita (1971), que Sergio Leone qualifiera ironiquement de « dégénérescence du genre ». Ces deux westerns parodiques imposent définitivement Terence Hill et Bud Spencer parmi les figures majeures du cinéma populaire. Barboni consacrera ensuite l’essentiel de sa carrière à diriger le duo — ou chacun séparément — signant pas moins de neuf films sur une filmographie qui n’en compte que treize. Une fidélité rare, qui a largement contribué à modeler l’image et l’humour des deux acteurs dans l’imaginaire collectif. Avec en point d’orgue, Deux super-flics (I due superpiedi quasi piatti, 1977), l’un des meilleurs films du duo.

Il est aujourd’hui difficile de mesurer l’immense popularité du duo Terence Hill – Bud Spencer, véritable phénomène mondial, parfois comparé au tandem Laurel et Hardy pour son efficacité comique et sa complémentarité gestuelle. Peut-être n’avaient-ils eux-mêmes pas pleinement conscience de l’ampleur de leur aura : des millions de spectateurs affluaient dans les salles de cinéma, de l’Europe à l’Amérique latine, en passant par l’Asie. Un tel succès n’a évidemment pas tardé à attirer l’attention des producteurs anglo-américains. Terence Hill tentera alors une carrière internationale en solo, oscillant entre grosses productions et films américains, avec des résultats contrastés. Son plus grand succès personnel reste l’excellent Mon nom est Personne, produit par Sergio Leone et réalisé par Tonino Valerii, où il donne la réplique à Henry Fonda, monument du cinéma. Bud Spencer, de son côté, restera fidèle aux productions italiennes, déclinant les sirènes d’Hollywood. Moins enclin à se réinventer hors de son cadre habituel, il préfèrera poursuivre une carrière populaire mais cohérente, centrée sur des personnages taillés à sa mesure. Mais, au fond, ce que le public aimait avant tout — et ce qui fit la singularité durable de leur succès — c’était de les voir réunis à l’écran. Ensemble, ils formaient une alchimie qu’aucun film en solitaire ne parvint vraiment à égaler.

Attention les dégâts ! se situe en fin de parcours pour le duo. Le film suivant, Les Super-flics de Miami (1985) de Bruno Corbucci, viendra clore cette période de leur carrière, avant une longue pause. Ce n’est qu’en 1994 que Terence Hill et Bud Spencer se reformeront une dernière fois pour Petit papa baston, western parodique réalisé par Terence Hill, qui marque un retour assumé aux origines. Le duo avait pourtant refusé quelques années plus tôt une proposition d’Enzo Barboni visant à ressusciter les personnages de Trinita et Bambino, conscients sans doute que la magie des premiers succès ne pouvait être simplement reproduite. Barboni n’abandonne pas son idée : il met en scène Trinidad et Bambino (1994), en confiant cette fois les rôles aux « enfants » du légendaire tandem des années 1970. Mais sans Terence Hill et Bud Spencer, l’alchimie n’opère pas : le film passe totalement inaperçu et scelle, presque symboliquement, la fin de la carrière d’Enzo Barboni.

Attention les dégâts ! est une comédie loufoque, qui en dédoublant le duo ajoute gags et effets comiques jouant sur le contraste entre les sosies. Le trucage fonctionne impeccablement bien. Terence Hill et Bud Spencer apportent quelques nuances, à gros traits certes, mais absolument réjouissantes, avec toujours leur superbe sens du timing. Un dernière grande réussite du duo.

Fernand Garcia

L’éditeur BQHL propose Attention les dégâts ! dans sa collection consacrée au duo Terence Hill – Bud Spencer, pour la première fois en 4K UHD, le film est disponible aussi en combo Blu-ray + DVD ainsi qu’en édition DVD simple. En supplément, on trouve une présentation éclairante de Jean-François Giré, qui revient avec érudition sur la singularité du film, l’évolution du duo et la carrière d’Enzo Barboni : « Le film est différent de ce qu’ils ont fait précédemment » (29 minutes). Comme pour les autres titres de la collection, BQHL inclut l’excellente version française d’origine, avec les voix emblématiques de Dominique Paturel pour Terence Hill et Claude Bertrand pour Bud Spencer.

Attention les dégats ! (Double Trouble / Non cè due senza quattro), un film de E.B. Clucher (Enzo Barboni) avec Terence Hill, Bud Spencer, April Clough, Harold Bergman, C.V. Wood Jr., Fary Reiz, Nello Pazzafini, Jose Van de Kamp, Fernando Amaral, Dary Reis… Scénario : Marco Tullio Barboni. Directeur de la photographie : Silvano Ippoliti. Décors : Jorge Moreira. Costumes : Luciano Sagoni. Montage : Philip Edwards. Musique : Franco Micalizzi. Producteur : Vittorio Galiano. Production : Trans-Cinema TV, Inc. – Elpico S.A. Italie. 1984. 100 minutes. Couleur. Format image : 1,66:1. 16/9e Son : Version « originale » anglaise avec sous-titres français et Version française. DTS-HD MA 2.0 (Blu-ray) et Dolby Digital 2.0 (DVD). Tous Publics