Éléphant Films propose, dans un magnifique coffret mediabook, Hollywood Interdit, une sélection de dix films dits « pré-Code ». Ces œuvres, réalisées entre 1931 et 1934, précèdent l’instauration du fameux Code Hays. Mis en place pour remplacer un premier code de 1929, ce dispositif moral et éthique avait pour objectif de désamorcer les multiples commissions locales de censure et de préserver le monopole des Majors hollywoodiennes sans intervention fédérale. La version définitive du Code, portée par William Hays, entra véritablement en vigueur en 1934, après de longues tractations entre les studios et diverses organisations religieuses, politiques et civiles. Elle reposait sur trois principes majeurs :
- Aucun film ne doit rabaisser les valeurs morales des spectateurs, ni susciter de sympathie pour le crime ou le péché.
- Les films doivent promouvoir des comportements décents.
- La loi, naturelle ou humaine, ne doit jamais être tournée en dérision ni apparaître du côté de ceux qui la transgressent.
Avant cette application stricte, Hollywood fonctionnait déjà sous un code de production, mais avec une marge de manœuvre qui permettait aux cinéastes de s’aventurer plus loin. Les films dits « pré-Code » ne constituent pas un genre en tant que tel : ils incarnent surtout un état d’esprit, une liberté de ton et une manière d’aborder les rapports entre hommes et femmes d’une grande modernité. Souvent perçus comme féministes, ces films confient aux héroïnes des rôles décisifs, où elles prennent des initiatives et choisissent elles-mêmes leur destin. Paradoxalement, ils furent parfois attaqués par certains mouvements féministes de l’époque, signe du carcan idéologique et moral dans lequel la société se débattait. À l’écran, pourtant, les femmes y apparaissent libres d’aimer, de décider, filmées avec sensualité et pleinement conscientes de leur pouvoir de séduction. Le désir s’y déploie avec une franchise troublante, sans les filtres que le Code imposera bientôt.
Quelques cinéastes profitent de cette parenthèse enchantée pour révéler une autre Amérique, aux valeurs résolument subversives. Cette liberté morale et esthétique favorise aussi l’émergence de nouvelles actrices, plus jeunes, audacieuses, parfois provocantes. La sélection d’Éléphant Films met ainsi en lumière plusieurs figures majeures : l’immense Marlene Dietrich dans son second film hollywoodien, Le Cantique des Cantiques de Rouben Mamoulian ; la superbe Claudette Colbert, à la fois dans le monumental Cléopâtre de Cecil B. DeMille et dans le plus rare Cabaret des étoiles ; la jeune Ida Lupino, éblouissante dans le surprenant L’École de beauté ; Ginger Rogers et Sylvia Sidney, réunies par Dorothy Arzner dans Honor Among Lovers et Merrily We Go to Hell ; ou encore Margaret Sullavan dans l’un des ultimes éclats de liberté, Et demain ? de Frank Borzage.

Cette édition offre également l’occasion de redécouvrir la carrière trop brève mais marquante de Nancy Carroll, à travers trois films emblématiques de l’ère pré-Code : L’Homme que j’ai tué, Hot Saturday et Le Baiser devant le miroir. Autant d’œuvres qui témoignent d’une audace formelle et d’une modernité de ton dont le cinéma hollywoodien sera bientôt privé.
Le Code Hays, appliqué par la Production Code Administration à partir de 1934, demeura en vigueur jusqu’en 1968. Paradoxalement, ce dispositif de moralisation — et de censure — permit à Hollywood d’asseoir son pouvoir et d’échapper à toute régulation fédérale, alors que, dans la plupart des autres pays, la censure dépendait directement de l’État. Du côté des scénaristes et des cinéastes, la créativité consista dès lors à contourner ce carcan par mille stratagèmes narratifs ou visuels. Mais, au fil des décennies, le Code finit par se fissurer. Dépassé par l’évolution des mœurs et des représentations, il s’effondra de lui-même dans les années 1960. Il n’était tout simplement plus concevable, à l’heure de la révolution sexuelle et des bouleversements culturels, de montrer un couple marié dormant dans deux lits jumeaux — pour ne citer qu’un symbole parmi tant d’autres.
Avec Hollywood Interdit, l’occasion est rêvée de se replonger dans les délices de productions à la fois subversives, audacieuses, impudiques et délicieusement sulfureuses — témoins d’une courte parenthèse où tout semblait possible. Les films du pré-Code réunis dans ce coffret apparaissent aujourd’hui comme autant de petites perles, précieuses et modernes, qui continuent d’éblouir par leur liberté.
Fernand Garcia

Hollywood Interdit une édition (blu-ray) d’Éléphant Films avec les films suivants :
Honor Among Lovers, un film de Dorothy Arzner avec Charles Ruggles, Ginger Rogers. Production : Paramount Publix Corporation. États-Unis. 1931. 75 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
L’Homme que j’ai tué (Broken Lullaby), un film d’Ernst Lubitsch avec Lionel Barrymore, Nancy Carroll. Production : Paramount Publix Corporation. États-Unis. 1932. 77 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Merrily We Go To Hell, un film de Dorothy Arzner avec Sylvia Sidney, Frederic March. Production : Paramount Publix Corporation. États-Unis. 1932. 83 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Hot Saturday, un film de William A. Seiter avec Cary Grant, Nancy Carroll, Randolph Scott. Production : Paramount Publix Corporation. États-Unis. 1932. 73 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Le Baiser devant le miroir (The Kiss Before the Mirror), un film de James Whale avec Nancy Carroll, Frank Morgan, Paul Lukas. Production : Universal Pictures Corporation. États-Unis. 1933. 69 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1. avec en bonus : Femmes délaissées (Wives Under Suspicion), remake du Baiser devant le miroir par James Whale avec Warren William, Gail Patrick. Production : Universal Pictures Corporation. États-Unis. 1938. 69 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Le Cantique des Cantiques (The Song Of Songs), un film de Rouben Mamoulian avec Marlene Dietrich, Lionel Atwill, Brian Aherne. Production : Paramount. États-Unis. 1933. 89 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Chanteuse de cabaret (Search for Beauty), un film de Alexander Hall et George Somnes avec Claudette Colbert, Ricardo Cortez, Davide Manners. Production : Paramount Productions. États-Unis. 1933. 72 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
L’École de la beauté (Torch Singer), un film de Erle C. Kenton avec Ida Lupino, Larry « Buster » Crabe, James Gleason. Production : Paramount Productions. États-Unis. 1934. 77 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Et demain ? (Little Man, What Now?), un film de Frank Borzage avec Magaret Sullivan, Douglass Montgomery. Production : Universal Pictures. États-Unis. 1934. 98 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.
Cléopâtre (Cleopatra), un film de Cecil B. DeMille avec Claudette Colbert, Warren William, Henry Wilcoxon. Production : Paramount Productions. États-Unis. 1934. 91 mn. Noir et blanc. Format image : 1.33:1.

Tous les titres sont disponibles à l’unité en combo (Blu-ray-DVD) ou DVD collector. En supplément, cette édition propose des présentations des films signées par Véronique Le Bris, Laura Tuillier, Frédéric Mercier, Justin Kwedi, Jean-Pierre Dionnet, Fabien Mauro, Xavier Leherpeur et Nachiketas Wignesan. Des portraits consacrés à Dorothy Arzner, James Whale, Marlene Dietrich, Cecil B. DeMille et Claudette Colbert viennent compléter l’ensemble. Le coffret s’accompagne également d’un livret, Hollywood Interdit – Les années « pré-Code » Hays en 10 films, richement documenté de 96 pages, rédigé par Denis Rossano, qui revient sur chacun des films et consacre une étude approfondie à la carrière de Nancy Carroll. Un indispensable pour toutes les BRthèques !